jeudi 28 septembre 2017

L'Asie au corps


J’ai le sentiment que l’Asie du Sud-Est est regardée par tous comme je la regardais il y a encore trois ans, tandis que je me trouvais à l’extérieur de l’aéroport de Rangoon, en Birmanie : avec le sourire, appétit et incompréhension. J’avais quitté la tempérée, ordonnée et grouillante Kunming, capitale du Yunnan (en Chine), et en deux heures de vol, m’étais retrouvé dans la pétulante saison des pluies à héler des voitures que je croyais être des taxis.
Ma première incursion asiatique remonte au mois de juillet 2014. Depuis, j’y suis retourné cinq fois et y ai séjourné plus de huit mois.


D’aucuns considèrent que le centre du monde se situe encore du côté des rives orientales et occidentales de l’océan atlantique. La puissance économique et militaire américaine, le géant russe qui commence à s’ébrouer plus librement, l’Union Européenne qui pèse lourd, la Méditerranée qui est devenue la scène et le décor de flux migratoires qui commencent seulement leurs lentes pérégrinations, les caméras du monde entier sont souquées à cette partie du monde.

Mais c’est sans doute un peu vite oublier que les caméras en question sont occidentales, donc partisanes et mutilantes.


Il en est d’autres qui pensent que le centre névralgique du globe se déplace vers l’Est. Je me range à cet avis.

Je ne voudrais pas faire l’affront au lecteur de lui rappeler la puissance chinoise, deuxième économie du monde. Pourtant prenons-nous conscience du trafic maritime qui transite par ces villes tentaculaires sur-polluées et habitées, sachant que 90 % de ce que l’on consomme aujourd’hui est arrivé par porte-conteneur ?


Et puis, comment imaginer qu’un milliard trois cent millions d’individus puisse tenir dans un seul pays ? La viabilité d’un Etat en tension passe aussi par ses marges et son expansion. Alors, on repousse les frontières et on va voir ses voisins. Tant pis pour la culture tibétaine ou mongole, on a d’autres chats à fouetter.


Puisqu’il se dit enfin, que « le monde est devenu un village », les moyens de transports et les nouvelles technologies permettent à un Chinois de quitter ses confins pour s’implanter facilement, mais non sans souffrance, en Afrique, en Amérique du Sud, et bien sûr, en Asie du Sud-Est.

Des rumeurs insistantes voudraient qu’au Cambodge une ville de plusieurs dizaines de milliers d’habitants soit construite par des Chinois et uniquement accessible à eux. À Vientiane, capitale du Laos, un quartier entier a été bouclé et est occupé par les citoyens de l’Empire du Milieu. Bangkok, la capitale thaïe et un des emblèmes, au moins visuel, de l’Asie a été construite et développé par des sino-thaïs ! Le poids de la Chine est donc considérable, mais c’est aussi vers ses voisins frontaliers au sud-est qu’il faut se tourner pour comprendre comment et pourquoi le centre du monde est aujourd’hui certainement dans cette région.

D’un point de vue économique, l’Asie du Sud-Est, même si elle a marqué le pas ces deux dernières années, connaît une croissance importante et un dynamisme inégalé. Pour preuve, d’après un rapport du Fonds Monétaire International (FMI) datant de 2016, la Chine explique 40 % de la croissance mondiale et l’Asie 66 % (avec en outre 6 % pour l’ASEAN).

L’Asie au sens large est la région la plus dynamique du monde avec une croissance de 6,4 % en 2016 qui se tassera un peu en 2017. La croissance du PIB s’évalue entre 3 et 7 % dans les pays d’Asie du Sud-Est. Mais toutes ces belles nouvelles sont à tempérer par un regard sanitaire. Peu de gens souffrent de la faim, mais la malnutrition est encore extrêmement présente et touche en particulier les femmes et les filles. Un rapport de L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) de la fin de l’année 2016, avance que, dans la région, 60 millions d’enfants âgés de moins de 5 ans sont rachitiques, et 8,8 millions sont en surpoids.

Aujourd’hui en Asie du Sud-Est, la croissance a apporté une stabilité alimentaire indéniable mais avec elle, de nouvelles pathologies qui frappent les pays riches depuis les années 80 : le diabète et l’obésité.


D’un point de vue démographique, et suivant la marche du monde dont la population a été quasiment multipliée par trois depuis 1950, partout les campagnes se vident et les villes explosent. Depuis 2014, plus de la moitié de la population mondiale est urbanisée.

À Metro Manila, capitale-agglomération des Philippines, 40 % des 17 millions d’habitants vivent en bidonville. Chaque jour, des centaines de personnes viennent gonfler des baraquements insalubres déjà pleins à craquer. La pauvreté extrême augmente, en même temps que l’urbanisation galope.


Manille n’est qu’un exemple, parmi d’autres. En Birmanie ou au Cambodge, la démographie est moins caracolante mais les bidonvilles emplissent. Les gens qui peuplent ces villes et leurs faubourgs vivent de peu, mais peinent beaucoup. Travailleurs journaliers, louant leurs bras à des industries ou d’autres secteurs d’activité, vendeurs à la sauvette dans des bouis-bouis de fortune, se prostituant aussi parfois. J’ai rencontré des enfants, de jeunes femmes ou hommes pratiquer des actes sexuels pour manger les jours suivants. On rétribuait la location de leur corps en sachets de nouilles déshydratées.

L’indigence a remplacé la pauvreté dans une région dont on vante pourtant le développement.


Écologiquement, l’Asie du Sud-Est est aux avant-postes de tout ce qui touche le réchauffement climatique.

Avec la montée des océans, l’embouchure du Mékong au Sud Vietnam, est de plus en plus salée et la mer remonte de loin en loin les bras qui veinent le delta. Ce phénomène salinise les sols et les eaux, causant l’incapacité des agriculteurs à travailler leurs terres et les poussent vers les villes pour y trouver un travail. L’Ouest du Cambodge a perdu en 10 ans plus de 40 % de ses forêts, avec la bénédiction des gouvernements en place depuis des décennies. Au Laos, le magnifique plateau des Bolovens est aujourd’hui massacré par la construction de barrages hydroélectriques (le pays souhaitant de venir « la pile de l’Asie ») et l’épandage massif de pesticides pour faire croître du café notamment. L’Indonésie, où jadis les essences de bois centenaires habitaient des forêts primaires est aujourd’hui le pays de l’huile de palme. Pour produire des chips, des pâtes à tartes, des bonbons, ou de l’agrocarburant, on coupe, brûle, vend des hectares, déplace des populations, ruine l’écosystème.


Que vaut le patrimoine culturel, le mode de vie de villageois, l’avenir d’une poignée d’orangs-outans si des biscuits saturés de graisse qui bouchent les artères et causent le diabète sont à la clé ?

Politiquement, et puisqu’on a le sentiment de s’y déplacer librement, la région semble apaisée. La guerre froide, le génocide Khmer rouge, le napalm au Vietnam et les bombardements au phosphore sur le Laos semblent loin. Allez comprendre pourquoi, la région vit actuellement des heures musclées ! A l’oppression communiste en Chine, au Laos et au Vietnam, il faut ajouter un Premier ministre cambodgien au pouvoir depuis 1997 qui élimine un à un ses opposants – de manière souple ou forte. La Birmanie connaît un processus d’ouverture démocratique indéniable depuis les élections libres de 2016 ayant propulsé le parti du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi au pouvoir, mais la junte militaire qui était aux commandes pendant près de 50 ans pourrait récupérer son bien sans trop de difficulté. En Thaïlande, le coup d’Etat militaire de mai 2014, supposé apporter stabilité et une nouvelle Constitution n’a finalement pas été suivi d’effets démocratiques réels. En pratique, le général Prayut Chan-ocha est Premier ministre, et devrait le rester encore quelques années. Au Sud, la Malaisie est dirigée de façon assez autoritaire. Les libertés civiles, religieuses et politiques y sont restreintes, mais des élections libres sont régulièrement organisées. Enfin, les Philippines ont porté au pouvoir en juillet 2016, Rodriguo Duterte, plébiscité par ses concitoyens et connu en Occident pour sa lutte ultra violente contre la drogue et la pauvreté.

Le tourisme en Asie du Sud-Est se porte excessivement bien et avec lui, son lot d’initiatives locales intéressantes qui permettent un développement précieux.

Mais du nombre, vient aussi la ruine.


La ruine de nombreux sites touristiques et de certaines économies locales. Au Cambodge, chaque année les temples d’Angkor sont assaillis de touristes et les pierres et les traditions en souffrent ; au Vietnam, la baie d’Along devient une poubelle et laisse sous les pieds de ses 5 500 visiteurs quotidiens des traces d’érosion irréversibles et catastrophiques ; en Indonésie, chaque année la moitié des touristes venus découvrir l’immense archipel se retrouve à Bali. L’île est devenue une usine à gogos et récemment un magnat prévoyait de poldériser 700 hectares de zone humide en pleine ville pour accueillir cette manne. Toute l’île s’est levée comme un seul homme pour refuser le projet, mais le ver est dans le fruit. De la Birmanie on ne connaît guère que les sublimes temples de Bagan, la surannée Rangoon et la langueur mise en scène du Lac Inlé, mais qui se soucie de la guerre ethnique qui fait rage depuis l’indépendance en 1948 ? Qui sait que le pays compte 50 000 enfants soldats ? En Thaïlande, sur les plages de Kho Phi Phi où les plongeurs se disputent les derniers coraux, on a oublié qu’un tsunami a frappé sans pitié en 2004 faisant des milliers de morts. Le mémorial en hommage aux victimes de l’île a d’ailleurs disparu, un hôtel de mauvaise facture l’a remplacé.


Ce que j’ai découvert m’a donné envie d’écrire et de photographier pour raconter. Je voulais tenter de ramasser dans mes reportages, puis dans un recueil de nouvelles, les images, les souvenirs, les impressions et les chimères que cette région a fait naître en moi.

On a la mémoire qu’on peut.

Des sables désertiques du désert du Taklamakan aux eaux turquoises de l’Indonésie, des temples d’Angkor aux bidonvilles de Manille, des camps de réfugiés de la jungle birmane aux rooftops de Bangkok, j’ai cheminé tout en travaillant à comprendre le quotidien de milliers de personnes qui ne demandent rien d’autre que vivre à peu près tranquillement, mais dont le mode de vie est de plus en plus menacé. J’ai vu se mêler les splendeurs naturelles et l’esthétique du chaos dans un tintamarre joyeux et usant. J’ai été marqué par une vitalité mordante quand ne frappe pas un silence étourdissant, coiffé de la chape de plomb de l’Histoire qui ne repasse pas les plats mais peine à être digérée.

J’ai eu la chance de pouvoir aller à la découverte du quotidien d’ouvriers chinois sur des chantiers titanesques, de la vie des enfants des rues de Manille ou de celle des réfugiés karens à la frontière du Tenasserim. Dans la jungle laotienne, sous les pluies de la mousson thaïe ou à travers les bidonvilles de Phnom Penh, j’ai vu que, là où il y a de la vie, il y a du désespoir. Mais partout, j’ai été marqué par cette flammèche qui ne s’éteindra jamais : celle de la vitalité, de la dignité et de l’enthousiasme qui brûle chez ces habitants et, par là même, réchauffe et galvanise. En Asie, leur énergie rapicolante a pansé les vieilles lunes qui me hantaient, et fait jaillir de nouvelles étincelles intérieures.

Grâce à ces personnes, j’ai appris ce qu’était le courage, l’élégance, la persévérance et la saine ambition.

J’ai décidé que je ne voudrai plus rien faire d’autre que servir l’endroit où la vie aura l’humeur de porter mes pas.


C’est un peu ce que j’essaie de faire, en mettant un point final à ce texte.


Par Matthieu Delaunay sur https://asialyst.com le 25/09/2017

Politiquement, linguistiquement et sociologiquement parlant, les Kurdes restent assez désunis


Le référendum au Kurdistan irakien irrite la Turquie qui craint le réveil de sa propre minorité kurde, même si les Kurdes d'Irak et ceux de Syrie sont engagés dans deux processus d'émancipation bien distincts, explique Olivier Grojean, chercheur à la Sorbonne.
Avec la victoire écrasante du «oui» au référendum d'indépendance organisé lundi au Kurdistan irakien, la question kurde s'impose au cœur des enjeux politiques et diplomatiques de la région. Avant même l'annonce du résultat, Erbil s'est attiré les foudres de Bagdad, de la Turquie et de l'Iran. Le Parlement irakien a voté l'envoi de troupes à Kirkouk et la suspension de tous les vols internationaux de et vers Erbil. Ankara a pour sa part annoncé qu'elle ne traiterait désormais plus qu'avec Bagdad concernant les exportations pétrolières. La Turquie menace par ailleurs de couper les vannes de l'oléoduc par lequel le Kurdistan irakien exporte son pétrole, ce qui le priverait de sa principale source de revenus.
Alors que Daech est sur le point d'être militairement battu, les différents partis politiques kurdes, qu'ils soient originaires de Turquie ou d'Irak, cherchent à peser sur les recompositions qui vont suivre, afin d'institutionnaliser leur autonomie, voire leur indépendance, explique Olivier Grojean, maître de conférences en science politique à l'université Paris 1-Panthéon Sorbonne. Il vient de publier La révolution kurde Le PKK et la fabrique d'une utopie aux éditions La Découverte.

LE FIGARO.- La Turquie s'est fermement opposée à la tenue d'un référendum au Kurdistan irakien. Craint-elle la contagion?

Olivier GROJEAN. - Le président turc Recep Tayyip Erdogan s'est effectivement opposé au référendum des Kurdes d'Irak, parce qu'à long terme ce scrutin risque de ranimer la question kurde dans son pays. Mais dans l'immédiat, Ankara surveille surtout ce qu'il se passe au Kurdistan syrien. La semaine dernière, des élections locales se sont tenues dans le Rojava, cette région qui regroupe les trois «cantons» kurdes de Syrie. Ces scrutins pour élire des conseils des villes sont passés totalement inaperçus dans la presse française. Ils étaient pourtant une étape essentielle dans l'application du projet autonomiste défendu par Abdullah Öcalan, le fondateur du PKK, ennemi juré de la Turquie.

Quels sont les liens entre les Kurdes de Syrie et les Kurdes de Turquie?

Le PYD syrien, qui contrôle l'enclave kurde depuis le retrait de l'armée gouvernementale en 2012, est une organisation sœur du PKK turc. Mais dans les faits, par l'intermédiaire de ses cadres, c'est bien le PKK qui contrôle politiquement et militairement le Rojava. Historiquement marxiste-léniniste, le PKK revendique aujourd'hui un modèle d'auto-gouvernement proche de la conception du «municipalisme libertaire» de l'anarchiste américain Murray Bookchin. Comme en Turquie, il cherche ainsi à construire une forme d'«autonomie démocratique» en Syrie.

Les Kurdes de Syrie ne demandent donc pas l'indépendance, comme leurs voisins Kurdes d'Irak?

On présente souvent le PKK comme un parti indépendantiste. Il a pourtant abandonné toute revendication indépendantiste depuis son premier cessez-le-feu unilatéral décrété en 1993. Et depuis les années 2000, il ne revendique même plus d'autonomie territoriale. Il promeut une forme d'autonomie politique fondée sur le «confédéralisme démocratique». Ses sympathisants ont ainsi construit des structures politiques parallèles, des coopératives de production alternatives, développé l'apprentissage de la langue kurde qui n'était pas enseignée par la Turquie ou créé des mécanismes de règlement des conflits pour se passer de la justice turque. Par une stratégie du fait accompli, l'idée était de contourner l'État turc sans s'opposer frontalement à lui. Mais tout s'est effondré à l'été 2015, quand les négociations de paix entamées en 2013 ont laissé la place à de nouveaux affrontements sanglants, inédits depuis la fin des années 1990. En Syrie par contre, ce modèle s'expérimente depuis maintenant cinq ans, avec, jusqu'ici, et en raison de la guerre, une certaine tolérance de l'État central.

Les Kurdes des différents États se rejoignent en tout cas dans leur volonté de s'émanciper de l'État où ils vivent.

Tous les Kurdes ont durement combattu contre l'État islamique. Ils se sont illustrés dans plusieurs batailles telles qu'au Sinjar ou à Kirkouk en Irak, à Kobané, Manbij ou Raqqa en Syrie. Maintenant que Daech est sur le point d'être militairement vaincu, ils remettent la question kurde sur le tapis, afin de ne pas être oubliés par les grandes puissances. Les différents partis politiques, qu'ils soient originaires de Turquie ou d'Irak, cherchent donc à peser sur l'après-État islamique, afin d'institutionnaliser leur autonomie, voire leur indépendance. Pourtant, cette «régionalisation» de la question kurde masque une forte fragmentation du Kurdistan. Linguistiquement, sociologiquement, économiquement, les Kurdes restent assez désunis. Et c'est également vrai politiquement: le PDK de Barzani en Irak et le PKK d'Öcalan en Turquie sont aujourd'hui deux grands rivaux qui tentent de monopoliser la cause kurde à l'échelle régionale.

Le rêve d'un grand Kurdistan indépendant formé sur l'Iran, l'Irak, la Turquie et la Syrie relève-t-il donc de l'utopie?

Le sentiment d'appartenance à un grand «Kurdistan» est assez généralisé dans les quatre zones à majorité kurde. Mais les politiques étatiques ont également conduit à une certaine différenciation des quatre Kurdistans. Ainsi, les Kurdes d'Irak sont engagés dans un processus d'indépendance par le haut, par la reconnaissance de la communauté internationale, et se concentrent sur le Kurdistan irakien. Au contraire, les Kurdes de Syrie et de Turquie sont davantage engagés dans un processus révolutionnaire, qui tente de mobiliser les populations autour de l'idéologie du PKK à l'échelle régionale. Des stratégies opposées donc, qui reflètent également des projets qui restent pour le moment incompatibles.

Par Edouard de Mareschal sur www.lefigaro.fr le 28/09/2017

mercredi 27 septembre 2017

Corée du Nord: les tweets incendiaires de Trump inquiètent l'Asie

Donald Trump s'est peut-être aventuré en terrain dangereux en lançant sur Twitter des tirades interprétées par Pyongyang comme une déclaration de guerre, inquiétant une région habituée à vivre sur le fil du rasoir mais qui envisage désormais la possibilité d'un conflit.

La propension du président américain à la diplomatie du tweet crée, d'après des analystes, une situation volatile que les erreurs d'interprétation pourraient enflammer.

M. Trump, qui est engagé dans une querelle de plus en plus personnelle avec Kim Jong-Un, a alarmé Pyongyang en assurant que le régime n'en aurait plus pour "très longtemps". Le Nord a réagi en accusant Washington de lui avoir "déclaré la guerre".

Si la Maison Blanche a qualifié ces propos d'"absurdes", le mal est peut-être fait. La Corée du Nord ne prend jamais très bien ce qu'elle perçoit comme des menaces contre le régime.

"Si on a une guerre, ça sera à cause de perceptions fallacieuses. Dans la vraie vie, il n'y a aucun besoin de conflit", juge Robert Kelly, professeur de sciences politiques à l'Université nationale de Pusan.

Il n'empêche que c'est l'inflation des tensions, déjà à des sommets après le sixième essai nucléaire mené le 3 septembre par la Corée du Nord, qui vient aussi de tirer deux missiles au dessus du Japon.

Après le test nucléaire, des universitaires chinois ont appelé ouvertement Pékin, qui soutient Pyongyang de longue date, à revoir sa position.

Pyongyang a "largement ignoré les efforts de la Chine" pour résoudre la crise par le dialogue, constate Jia Qingguo, de l'Université de Pékin, dans un article intitulé "Il est temps de se préparer au pire avec la Corée du Nord".

Dans ce commentaire, le premier d'une série d'interventions d'universitaires chinois perçues comme des avertissements à Kim Jong-Un, M. Jia appelle Pékin à envisager des pourparlers d'urgence avec Washington et Séoul.

'Gâteux'

"Quand la guerre devient une possibilité réelle, la Chine doit se tenir prête", dit M. Jia.

Pour M. Kelly, l'interprétation la plus positive des propos belliqueux de M. Trump est qu'ils visent en fait à persuader la Chine, principal allié et partenaire économique de la Corée du Nord, "d'arrêter de détourner le regard".

La Chine protège traditionnelle son voisin reclus et imprévisible de peur des conséquences déstabilisante d'un effondrement du régime ou d'un conflit.

Mais Pékin a voté les dernières sanctions très dures contre Pyongyang.

Malgré tout, M. Trump continue de souffler sur les braises.

Les deux pays n'entretiennent pas les contacts qui mettraient normalement de l'huile dans les rouages - pas d'ambassades, peu d'occasions de rendez-vous diplomatiques. Les relations entre les Etats-Unis et la Corée du Nord se jouent souvent au grand jour.

M. Trump est "un gâteux mentalement dérangé", "Kim est un Petit Homme-Fusée": que ces relations en soient réduites au niveau des insultes de cour d'école rend la situation dangereuse, souligne Kim Hyun-Wook, professeur à l'Académie diplomatique nationale de Corée.

"Les Etats-Unis et la Corée du Nord ne veulent pas transformer ceci en conflit militaire mais si la guerre psychologique se poursuit, l'une des parties pourrait franchir par inadvertance une ligne rouge qui conduirait l'autre à lancer une contre-opération, débouchant sur un conflit armé", a-t-il dit.

La semaine dernière, Pyongyang a laissé entendre qu'il pourrait répliquer aux insultes de M. Trump en menant un essai nucléaire dans l'atmosphère. La prochaine fois que le Nord tire un missile, les enjeux s'en trouveront accrus de même que les risques d'une erreur de calcul.

Angoisse

En Corée du Sud et au Japon, où sont déployés des dizaines de milliers de soldats américains qui seraient en première ligne en cas d'attaque nord-coréenne, c'est le règne de l'angoisse.

A Séoul, où des millions d'habitants sont à la merci d'une attaque conventionnelle, voire chimique, sans parler d'une attaque nucléaire, la possibilité de guerre est un mode de vie.

Les stations de métro font aussi office d'abri et des masques à gaz y sont disponibles. Il y a des exercices de simulation d'attaque à peu près quatre fois l'an.

De l'autre côté de la mer, le Japon s'inquiète non seulement de la possibilité de tirs de missiles balistiques qui pourraient transporter des charges chimiques, biologiques ou nucléaires mais aussi du risque "d'attaques aux impulsions électromagnétiques (IEM)" qui pourraient anéantir ses infrastructures électroniques.

Le ministre japonais de la Défense, Itsunori Onodera, dont le budget vient d'augmenter, a déclaré récemment que le Japon considérait comme "important de renforcer sa résistance aux armes IEM".

En cas de tirs de missiles, l'archipel dispose d'un système d'alerte bien rodé, avec des messages texto et par haut-parleurs.

Ce qui n'empêche que les Japonais n'auraient que quelques minutes pour réagir à une attaque et beaucoup ont un sentiment d'impuissance.

Au bout du compte, dit M. Kelly, si la rhétorique s'apaisait et si M. Trump restait à l'écart de son clavier, la fragile détente qui règne en Asie du Sud-Est depuis des décennies, pourrait être rétablie. A une condition toutefois.

"Nous avons appris à apprendre avec les armes nucléaires soviétiques, chinoises maoïstes, pakistanaises. Nous pouvons aussi nous adapter aux armes nucléaires nord-coréennes".

Sur www.lepoint.fr le 26/09/2017

mercredi 20 septembre 2017

ONU: l'Iran refuse de renégocier l'accord nucléaire avec Donald Trump

Après le discours très offensif, hier, du président américain Donald Trump, son homologue iranien Hassan Rohani a exclu ce mercredi toute nouvelle discussion avec les États-Unis sur l'accord nucléaire conclu il y a deux ans, jugeant qu'il s'agirait d'une «perte de temps» avec un pays qui «bafouerait ses engagements internationaux».

L'Iran respecte l'accord nucléaire de 2015 mais réagira avec «détermination» si ce texte vient à être dénoncé.

«Nous n'avons trompé personne» dans l'application de l'accord, mais Téhéran «réagira avec détermination» à toute violation du texte, a indiqué Hassan Rohani. Alors que les États-Unis menacent de plus en plus de dénoncer l'accord, il a jugé qu'il «serait dommage» qu'il «soit détruit par des nouveaux voyous en politique internationale».
Mardi, le président américain avait attaqué l'Iran en le qualifiant d'«État voyou» et de «dictature corrompue», à la même tribune de l'Assemblée générale des Nations unies.
Au coeur de la crise, l'accord signé par Téhéran et les grandes puissances - dont les États-Unis -, que Donald Trump voue aux gémonies. Le président américain doit «certifier» d'ici mi-octobre auprès du Congrès que Téhéran respecte bien ses engagements, censés garantir la nature exclusivement pacifique de son programme nucléaire. Donald Trump a assuré ce mercredi avoir déjà pris sa décision, mais sans la dévoiler. «Ce qui est clair, c'est qu'il n'est pas heureux avec cet accord», a expliqué l'ambassadrice américaine à l'ONU Nikki Haley sur la chaîne de télévision CBS.
Une non certification ouvrirait la voie à une réimposition de sanctions déjà levées,casus belli pour Téhéran. Et équivaudrait selon certains diplomates européens à «une mort politique» du pacte bâti sur leur levée progressive en échange de l'engagement iranien de ne pas se doter de l'arme atomique.

«En violant ses engagements internationaux, la nouvelle administration américaine détruit sa propre crédibilité et sape la confiance internationale à son égard». Hassan Rohani

L'éventualité d'une dénonciation inquiète les autres signataires: France, Grande-Bretagne, Russie, Chine et Allemagne. «Nous exhortons sans cesse les États-Unis à ne pas le déchirer. Je dois dire que les chances sont peut-être de 50/50», a dit le ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, au journal Guardian.
L'accord «est un exemple de la façon de résoudre une crise internationale à travers la politique et la diplomatie», a insisté pour sa part la diplomatie chinoise.
Hormis le soutien d'Israël, les États-Unis sont isolés, d'autant que l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), chargée de vérifier le respect des engagements des Iraniens, a sans cesse validé leur attitude depuis la conclusion de l'accord en juillet 2015. «L'accord appartient à la communauté internationale et pas à un ou deux pays», a fait valoir Hassan Rohani à l'ONU, reprenant presque mot pour mot une formule de la cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini.
Plusieurs diplomates s'inquiètent des répercussions négatives d'une volte-face américaine sur l'Iran, alors que la communauté internationale espère encore faire revenir la Corée du Nord à la table des négociations pour lui faire renoncer à ses propres ambitions nucléaires.
Selon Stewart Patrick, chercheur au Council on Foreign Relations, «les Nord-Coréens observent de près comment est traité l'Iran», pour voir «quel serait leur propre sort s'ils devaient un jour accepter de renoncer à leurs armes nucléaires».
Behnam Ben Taleblu, du groupe de pression conservateur Foundation for Defense of Democracies, très critique envers l'accord iranien, pense au contraire qu'une «ligne dure contre Téhéran» renforcerait la «crédibilité des États-Unis» et les placerait en position de force lors d'éventuelles futures négociations avec la Corée du Nord.

Par juliette Mickiewicz sur www.lefigaro.fr le 20/09/2017

mardi 12 septembre 2017

Pour sa reconstruction, la Syrie se tourne vers l'Asie


Le régime de Damas, qui a repris à Daech une grande part de son territoire, essaie d'attirer à lui des investissements étrangers. Pour le chercheur Frédéric Pichon, Assad effectue un «pivot vers l'Est» pour financer une reconstruction dont «les entreprises occidentales ne verront pas la couleur».
Alors que l'État islamique recule partout en Syrie, notamment à Deir ez-Zor, le gouvernement, à Damas, isolé des pays occidentaux, se tourne vers les pays émergents. Objectif: financer la reconstruction du pays, détruit par six ans de guerre civile. Fin août, s'est ainsi tenue la Foire internationale de Damas, rendez-vous syrien consacré à l'économie créé en 1954, mais interrompu depuis 2012. Du 21 au 23 septembre, aura lieu la troisième Exposition pour la reconstruction de la Syrie. Pour Frédéric Pichon, chercheur spécialiste de la Syrie et consultant, qui vient de publierSyrie, une guerre pour rien (éd. du Cerf), le régime de Damas effectue un «pivot vers l'Est», notamment vers la Chine et l'Inde, pour renforcer sa légitimité auprès des puissances émergentes.

Le FIGARO. - Qu'appelez-vous le «pivot vers l'Est» de la Syrie?

Frédéric PICHON. - C'est un concept que j'emprunte à la politique américaine de Barack Obama qui souhaitait s'intéresser davantage à l'Asie. Il me semble correspondre particulièrement à la réalité syrienne, d'abord diplomatiquement. Il faut regarder dès 2012 les votes concernant la Syrie à l'Assemblée générale des Nations unies et les réticences des «émergents». Damas a su utiliser les codes à destination de ces pays: attachement à la souveraineté étatique, méfiance vis-à-vis de l'«Occident» et surtout refus de l'ingérence.

Ce pivot est-il aussi économique?

Il l'est aussi, surtout dans l'optique de la reconstruction du pays. Les dividendes de la paix seront partagés avec des pays tous situés à l'Est. Cela inclut évidemment la Russie et l'Iran -soutiens militaires de Damas- mais aussi la Biélorussie, la Chine, l'Inde ou la Malaisie. Les entreprises de ces pays étaient particulièrement attendues lors de la Foire de Damas en août et le sont pour la troisième Exposition pour la reconstruction de la Syrie, qui se tient du 21 au 23 septembre. Des infrastructures à l'énergie, en passant par le BTP et les services, les Syriens cherchent des capitaux parmi les sociétés de ces pays.

Pourquoi Damas privilégie-t-elle ces entreprises?

Elles arrivent en Syrie avec un regard vierge. Elles illustrent ce que l'on nomme le «consensus de Pékin», cette attitude neutre que l'on adopte vis-à-vis de ses partenaires économiques. Elle ne concerne pas seulement la Chine, mais tous les «émergents». Ces entreprises venues de l'Est ne regardent pas si le régime de Damas est démocratique, mais pensent d'abord et avant tout «à faire du business» en en profitant pour tailler des croupières aux entreprises occidentales.

Le renforcement de ces liens a-t-il des résultats?

La Syrie est déjà en mutation profonde: les projets d'infrastructure engagés sont titanesques. Un exemple parmi d'autres: sur la route reliant Damas à Alep, d'énormes pylônes flambant neufs sont en cours d'édification et n'attendent plus que les lignes à haute tension soient levées. Déjà en 2013, des entreprises chinoises avaient posé de la fibre optique dans la partie du territoire syrien occupé par le régime. Pékin a aussi des projets dans le secteur de l'énergie solaire. Certains à Damas voient la future reconstruction comme une «opportunité» pour repenser le développement économique du pays sur de nouvelles bases. Le solaire entre précisément dans cette réflexion globale, alors que la Syrie connaît depuis longtemps, bien avant la guerre, des difficultés en matière d'équipements énergétiques.

«La Syrie s'inscrit dans le cadre de la révolution chinoise des Routes de la Soie, ce projet pharaonique de corridor terrestre visant à relier l'Extrême-Orient à l'Europe». Frédéric Pichon

Les Syriens se frottent les mains même si, avec certains acteurs, notamment avec les pays engagés militairement à leurs côtés, comme l'Iran ou la Russie, les contrats d'investissements sont assortis de clauses léonines qui ne leur laissent pas toujours le choix. En janvier dernier, un contrat a par exemple été passé concernant l'exploitation de 5000 hectares de terres agricoles par Téhéran. Une stratégie qui ressemble un peu au Land grabbing (accaparement des terres, NDLR) des Chinois en Afrique.

Les entreprises occidentales seront-elles hors-jeu pour la reconstruction de la Syrie?

Elles n'en verront pas la couleur, à moins d'occuper des niches inoccupées... Je pense à la reconstruction du patrimoine historique, abreuvée par les fonds de l'UNESCO. Elles peuvent y prendre leur part à condition qu'elles ne craignent pas des mesures de rétorsion, notamment américaines.

Au-delà, les États occidentaux sont tombés dans un piège. Toute participation financière apportée à la reconstruction serait vue comme légitimant Bachar el-Assad. La haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, a proposé de subordonner une éventuelle aide pour la reconstruction à des conditions politiques. Mais elle s'est heurtée à l'intransigeance de la France, alors catégorique sur l'absolue nécessité d'une transition politique. Avec Emmanuel Macron, l'Élysée connaît aujourd'hui une évolution vers un peu plus de pragmatisme. Or, on aurait tort de sous-estimer la Syrie comme débouché occidental de l'Asie.

Ce pivot de Damas vers l'Est est-il lié au projet chinois des «nouvelles routes de la Soie»?

La Syrie s'inscrit parfaitement dans le cadre de la révolution chinoise des «Routes de la Soie», ce projet pharaonique de corridor terrestre, à la fois routier, ferroviaire et énergétique, visant à relier l'Extrême-Orient à l'Europe. Même si elle en est la principale force motrice, la Chine n'est pas la seule à avoir investi des dizaines de milliards de dollars dans ce projet. Les États de l'Organisation de coopération de Shanghai -Russie, Chine, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan et Ouzbékistan- sont aussi partie prenante. Les débouchés sont énormes pour le Moyen-Orient, qui apparaît comme un passage obligé vers l'Europe.


Damas, mais aussi Bagdad, espèrent donc que la «reconstruction» de la Syrie et de l'Irak profitera de la mise en œuvre de ces projets d'infrastructures, qui offrent de nombreuses sources de financement. La géopolitique de la région va être régie par ces grands projets d'infrastructures, coordonnés par Pékin.

Dans ce maillage de communications entre l'Asie et l'Europe, la Syrie ne risque-t-elle pas d'entrer en concurrence avec la Turquie?

Ceci fera effectivement partie de l'équation. Mais au-delà du couple Damas-Téhéran, il faut voir la récente coopération qui naît entre la Russie, la Turquie et l'Iran pour assurer un équilibre régional. Regardez la relance du projet de pipeline Turkish Stream entre Moscou et Téhéran. A court terme néanmoins, je ne crois pas à un réchauffement entre les Turcs et les Syriens, même si on peut imaginer qu'il se réconcilient à l'avenir sur le dos des Kurdes…

Quels sont les enjeux énergétiques de ce pivot vers l'est de Damas?

Géographiquement, la Syrie est une zone stratégique, notamment pour acheminer le pétrole iranien. Les pipelines syriens démarrent dans la région de Deir ez-Zor et rejoignent plus à l'ouest Palmyre avant de se diriger vers Homs. Ils atteignent enfin les raffineries de Baniyas au nord-ouest du pays. Ce réseau pourrait permettre de relier la Syrie à l'Irak et même à l'Iran. Entre Deir ez-Zor et les champs d'hydrocarbures iraniens, en passant par Tikrit en Irak, il y a environ un millier de kilomètres.


Elle l'est. On voit que l'alliance arabo-kurde soutenue par Washington essaie, elle aussi, d'atteindre Deir ez-Zor pour que l'armée syrienne reste sur la rive occidentale de l'Euphrate. De son côté, Damas veut récupérer ses champs pétroliers situés dans le désert. Surtout, sans Deir ez-Zor, le régime aurait beaucoup de mal à relier la Syrie et l'Irak. Or, pour Téhéran, une évacuation terrestre de ses hydrocarbures serait idéale. Par la mer, c'est beaucoup plus long et cher, d'autant que les pétroliers doivent passer à proximité d'Israël. Ce n'est pas pour rien non plus que le port syrien de Tartous, où la marine russe est déjà présente, fait l'objet de toutes les convoitises. Les Iraniens sont en train de négocier avec Damas pour avoir eux aussi un point d'ancrage en Méditerranée.

Par Alexis Feertchak le 12/09/2017 sur www.lefigaro.fr

Les Brigades anarchistes de l'Otan

Dans les années 1980-90, la société kurde était extrêmement féodale et patriarcale. Elle était maintenue dans un fort sous-développement, ce qui poussa des kurdes à se soulever contre les dictatures militaires qui se succédèrent à Ankara [1].
Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) était une organisation marxisme-léniniste, soutenue par l’Union soviétique, luttant contre les dictatures de généraux kémalistes, membres de l’Otan. Il libéra les femmes et rejoignit les combats progressistes. Avec l’aide d’Hafez el-Assad, il installa un camp de formation militaire dans la plaine libanaise de Bekaa, sous la protection de la Force de paix syrienne, jouxtant celui du FPLP palestinien.
Durant cette période, le PKK n’avait pas de mots assez durs contre « l’impérialisme américain ».
Lors de la dissolution de l’URSS, le PKK disposait de plus de 10 000 soldats à plein temps et de plus de 75 000 réservistes. Cette guerre de libération détruisit plus de 3 000 villages et fit plus de 2 millions de déplacés. Malgré cet immense sacrifice, elle échoua.
Arrêté au Kenya, en 1999, lors d’une opération conjointe des services secrets turc, états-unien et israélien, le leader historique de la révolte, Abdullah Öcalan, fut emprisonné sur l’île d’İmralı, dans la mer de Marmara. Le PKK s’effondra, divisé entre son chef prisonnier, favorable à une négociation de paix, et ses lieutenants pour qui la guerre était devenue un mode de vie. Quelques attentats eurent encore lieu sans que l’on sache vraiment lesquels étaient le fait de combattants refusant de désarmer ou d’une fraction de la gendarmerie, le JITEM, qui refusait elle aussi le cessez-le-feu.
Au début du « printemps arabe », Abdullah Öcalan reconstruisit le PKK depuis sa cellule autour d’une nouvelle idéologie. À la suite de négociations secrètes avec l’Otan à la prison d’İmralı, il abandonna le marxisme-lénisme pour le « municipalisme libertaire ». Lui qui avait toujours lutté contre la Turquie pour édifier son propre État, le Kurdistan, considérait désormais que tout État est en soi un outil d’oppression [2].
Les militants du PKK qui avaient été contraints de fuir la Turquie durant la guerre civile, avaient trouvé refuge au nord de la Syrie [3]. Au nom des siens, Öcalan s’était engagé par écrit à ne jamais revendiquer de territoire syrien. En 2011, au début de la guerre occidentale contre la Syrie, les kurdes constituèrent des milices pour défendre le pays qui les avait accueillis et qui les avait naturalisés.
Cependant, le 31 octobre 2014, l’un des deux co-présidents du YPG, la branche syrienne du PKK, Salih Muslim, participa à une réunion secrète au palais de l’Élysée avec le président français François Hollande et son homologue turc, Recep Tayyip Erdoğan. Il se vit promettre de devenir chef d’État, s’il acceptait de s’engager à recréer le Kurdistan… en Syrie.
Immédiatement, la Coalition internationale, que les États-Unis venaient de créer prétendument contre Daesh, soutint le YPG, lui fournissant de l’argent, de la formation, des armes et un encadrement. Oubliées donc les imprécations contre Washington, désormais devenu un si bon allié. L’organisation kurde commença à expulser les habitants des régions sur lesquelles elle avait jeté son dévolu.
Comme il n’y avait eu jusque-là aucune bataille du YPG contre Daesh, les États-Unis mirent en scène un terrible affrontement à Aïn al-Arab, rebaptisé pour l’occasion du nom kurmandji de Kobané. La presse internationale fut invitée à couvrir l’événement sans se mettre en danger. Cette ville est située sur la frontière syro-turque et les journalistes purent suivre les combats à la jumelle depuis la Turquie. On ignore ce qui s’est vraiment passé à Aïn al-Arab puisque la presse ne fut pas autorisée à y entrer. Pourtant on dispose d’images filmées au téléobjectif et semblant confirmer de loin les communiqués relatant la sauvagerie des combats. Quoiqu’il en soit, « l’Occident » unanime conclut que les kurdes étaient les alliés dont il avait besoin contre Daesh et la Syrie.
La presse occidentale assure que la moitié des soldats kurdes sont des femmes, comme statutairement la moitié des instances dirigeantes du PKK/YPG. Pourtant, sur le terrain, leur présence est rarissime. Les journalistes affirment également qu’elles terrorisent les jihadistes pour qui, mourir tué par une femme serait une malédiction interdisant l’accès au paradis. Curieusement, la même presse ignore que l’Armée arabe syrienne comprend aussi des bataillons féminins que les jihadistes attaquent avec la même rage que leurs homologues masculins.
Malgré les apparences, le YPG n’est pas aussi nombreux qu’il le prétend. Beaucoup de kurdes syriens considèrent les États-Unis comme une puissance ennemie et la Syrie comme leur nouvelle patrie. Ils refusent de suivre les fantasmes de Salih Muslim. Aussi le Pentagone a-t-il adjoint à « ses » kurdes, non seulement quelques mercenaires arabes et assyriens, mais aussi des militants de l’extrême-gauche européenne.
De même que la CIA a embrigadé des dizaines de milliers de jeunes musulmans occidentaux pour en faire des islamistes, de même, elle commence à recruter des anarchistes européens pour constituer des Brigades internationales, sur le modèle de celles qui se battirent en 1936 à Barcelone contre les fascistes. On trouve ainsi comme troupes supplétives du YPG/Otan le Bataillon antifasciste internationaliste (Europe centrale), la Brigade Bob Crow (Anglais et Irlandais), la Brigade Henri Krasucki (Français), les Forces internationales et révolutionnaires de guérilla du peuple (Amériques), l’Union révolutionnaire pour la solidarité internationale (Grecs), l’Unité du Parti marxiste-léniniste (Espagnols), et tous les groupuscules turcs pro-US (DK, DKP, MLSPB-DC, PDKÖ, SI, TDP, TKEP/L, TKPML) pour ne citer que les plus voyants [4].
La bataille d’Aïn al-Arab, censée opposer de jeunes Syriens favorables au Califat à de jeunes kurdes, a surtout coûté la vie, de part et d’autre, à de jeunes Européens en quête d’un monde meilleur. Les pays européens s’inquiètent du retour possible de jeunes jihadistes chez eux, mais pas de celui de jeunes anarchistes, pourtant aussi dangereux. C’est probablement parce qu’il est beaucoup plus facile de manipuler ces derniers et de les recycler dans les prochaines aventures impérialistes.
En juin 2015, le Parti démocratique des peuples (HDP), nouvelle expression politique du PKK, reçut un abondant soutien financier et un encadrement de la CIA, contre l’AKP de Recep Tayyip Erdoğan. Soudainement, il perça le plancher des 10 % de voix nécessaires pour entrer à la Grande Assemblée nationale et gagna 80 députés.
Le 17 mars 2016, le YPG proclama l’autonomie du « Rojava », c’est-à-dire du couloir reliant la région du Kurdistan irakien à la Méditerranée, le long de la frontière syro-turque, mais uniquement du côté syrien. Le « Rojava » inclurait donc partiellement la zone d’Idleb actuellement occupée par Al-Qaïda.
Cet État étant proclamé par des gens qui n’y sont pas nés au détriment des autochtones, il s’agit d’un projet colonial, comparable à celui d’Israël, auto-proclamé en Palestine par des juifs qui y avaient acheté des terres. La dénomination « Rojava » a été choisie pour distinguer ce territoire du « Kurdistan » qui, lui, se trouve en Turquie où il fut proclamé en 1920 par la conférence de Sèvres [5].
Au moment où l’émirat d’Al-Qaïda d’Idleb et le califat de Daesh à Rakka se rétrécissent comme peau de chagrin, l’Otan poursuit son plan de dislocation de la République arabe syrienne et ambitionne de créer le « Rojava » de Kameshli.
La presse occidentale observe éblouie ce « Rojava » paré de toutes les vertus à la mode : pacifiste, égalitaire, féministe, écologiste, favorable à la construction du genre, etc. [6]. Peu importe que le YPG soit une armée. Peu importe qu’il lutte contre les habitants historiques du Nord de la Syrie, les arabes et les assyriens, puisque sur le papier il a formé avec eux les Forces démocratiques.
Les programmes du YPG syrien et du HDP turc correspondent à la stratégie militaire US. Depuis 2001, le Pentagone prévoit à moyenne échéance « le remodelage du Moyen-Orient élargi », c’est-à-dire la division des grands États en de petits États homogènes, incapables de lui résister. À plus long terme, il prévoit de les opposer les uns aux autres jusqu’à faire régresser la région au chaos.
Le « Rojava » n’a pas été proclamé en État indépendant car, selon le nouvel Öcalan, tout État-nation serait un mal en soi. Selon l’Otan, c’est juste un État autonome qui devra se confédérer avec d’autres États autonomes comme ceux qui succèderont à l’État-nation syrien, une fois qu’il aura été renversé. Selon le théoricien de référence du « municipalisme », l’États-unien Murray Bookchin, pour fonctionner de manière démocratique, les communautés libertaires doivent être homogènes. C’est pourquoi le « pacifiste » YPG procède actuellement au nettoyage ethnique du « Rojava ».

Par Thierry Meyssan sur www.voltairenet.org le 12/09/2017

[1] Blood and belief : the PKK and the Kurdish fight for independence, Aliza Marcus, New York University Press, 2007.
[2] The Political Thought of Abdullah Öcalan : Kurdistan, Women’s Revolution and Democratic Confederalism, Abdullah Öcalan, Pluto Press, 2017.
[3] Par défaut, on peut lire The Kurds in Syria : the forgotten people, Kerim Yildiz, Pluto Press, 2005.
[5] « Les projets de Kurdistan », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 5 septembre 2016.
[6] The PKK : Coming Down From the Mountains, Paul White, Zed Books, 2015. Revolution in Rojava : Democratic Autonomy and Women’s Liberation in the Middle East, Michael Knapp & Ercan Ayboga & Anja Flach, Pluto Press, 2016.