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vendredi 19 octobre 2018

Les investisseurs chinois créent des remous à Sihanoukville

Avec plus de vingt milliards de dollars investis au Cambodge sur près de vingt ans, le gouvernement chinois s'intéresse depuis de nombreuses années au pays dans le cadre de sa stratégie de mondialisation, par le biais des sociétés d'État chinoises (SOE) qui s'installent à Sihanoukville ou à Phnom Penh. Une présence chinoise qui, si elle a contribué à édifier société cambodgienne, est aussi source de nombreuses tensions et d'injustices pour les Khmers. Alors que les investissements chinois au Cambodge doivent se poursuivre avec encore sept milliards de dollars alloués, l'éditorialiste Luke Hunt espère un nouveau virage.

L'arrivée au Cambodge d'une foule de développeurs, de financiers, de restaurateurs, de joueurs ou encore d'ouvriers du bâtiment, dans la vague des investissements chinois dans le pays, semble jeter un froid sur la patience des Cambodgiens. Même la presse cambodgienne officielle, toujours docile envers le gouvernement cambodgien, a relevé le problème. Les médias locaux titrent souvent sur le « mauvais comportement des Chinois », en particulier à Sihanoukville, dans le sud du pays, où les sociétés d'État chinoises (SOE) ont beaucoup investi. Les plages et les forêts tropicales y sont façonnées par les affaires et des propriétés s'y installent, inabordables pour la population locale. Des témoignages affirment par ailleurs que des Cambodgiens ne peuvent accéder à leur propre littoral et que certains groupes chinois cherchent les proies faciles pour forcer les propriétaires à vendre leurs maisons.

Récemment, un casino chinois a ainsi refusé de payer les gains d'un Cambodgien sous prétexte qu'il était Khmer. De même, un mystérieux incendie a démarré juste après que le propriétaire d'un magasin avait refusé une proposition d'achat. Par ailleurs, quatre Chinois ont été arrêtés après avoir prêté 14 500 dollars à un couple endetté. Leurs victimes ont joué et perdu, avant d'être détenues dans l'appartement d'un casino jusqu'à ce que leurs proches remboursent la somme. De telles affaires sont courantes : de janvier à juin 2018, les ressortissants chinois étaient largement en tête des détenus étrangers selon les statistiques de la police locale, avec 275 arrestations. La montée de la criminalité a provoqué l'indignation des Khmers et forcé le gouvernement à lancer une police spéciale pour remédier au problème, en particulier sur la côte sud.


Mondialisation à la chinoise

La stratégie de mondialisation chinoise, qui soutient les intérêts de la Chine à l'international via les sociétés d'État chinoises, a commencé en 1999. Cette politique s'est affermie en 2001 avec l'admission de la Chine au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Elle a continué de prospérer grâce aux « Nouvelles routes de la soie » (Belt and road initiative – BRI), annoncées en 2013. Sur le plan stratégique, le Cambodge a toujours été en ligne de mire. Phnom Penh constituait ainsi, pour le gouvernement chinois, l'occasion d'un site intermédiaire diplomatique, ouvrant l'accès aux voies commerciales et permettant une présence militaire dans le golfe de Thaïlande. Après une guerre de plus de trente ans, le Cambodge avait absolument besoin de ressources et de reconstruction. Sur près de vingt ans, la Chine a donc envoyé plus de vingt milliards de dollars d'aides, de prêts et d'investissements dans le pays, tout en soutenant indéfectiblement le premier ministre Hun Sen, qui avait contrarié les investisseurs occidentaux sur le plan des Droits de l'Homme. Selon les statistiques officielles du gouvernement cambodgien, près de 210 000 Chinois vivent au Cambodge, un chiffre qui a plus que doublé en seulement un an. Parmi eux, 78 000 Chinois vivent à Sihanoukville, dont seulement 20 000 ont un permis de travail. L'arrivée des touristes chinois a également augmenté de 72,6 % par rapport à l'année dernière. Au cours des sept premiers mois de cette année, 1,1 million d'entre eux ont été enregistrés, et ils devraient être près de 2,5 millions d'ici 2020 – pour une population de seulement 15 millions de Cambodgiens. Beaucoup d'entre eux restent dans le pays.

Pour mettre les choses en perspective, selon un recensement de 1921, 165 485 ressortissants britanniques vivaient alors dans l'Inde coloniale, pour une population de 251,32 millions d'Indiens. Au Cambodge, ce phénomène a tendance à chasser les touristes et les expatriés occidentaux, au détriment des Khmers qui ont construit leurs affaires autour de leurs besoins. Dans le domaine du tourisme, les agences chinoises sont accusées d'avoir corrompu l'économie à Bali et en Thaïlande en monopolisant les touristes chinois. Le Cambodge fait face à des problèmes similaires dans les domaines du tourisme et du bâtiment, alors que les villes se transforment à vue d'œil. Des gratte-ciel chinois peuvent ainsi être construits au rythme d'un étage par jour. Des ouvriers chinois sont recrutés pour les travaux comme la maçonnerie. La plupart des logements construits sont vides et très coûteux, forçant les agences immobilières à se tourner vers les touristes chinois. Comme le confiait récemment un Khmer, alors que des centaines d'ouvriers en bleu de travail sortaient d'un site de construction après une journée de travail : « Moi aussi, je pourrais faire ce travail. Pourquoi m'en empêchent-ils ? » Pour les autorités cambodgiennes, c'est une situation embarrassante. Les promesses électorales récentes portaient justement sur une plus grande prospérité et sur le libre-échange avec la Chine. En ouvrant le Cambodge à la Chine, Hun Sen a également obtenu le soutien politique de Pékin, qui a naturellement salué le nouveau premier ministre après qu'il a remporté la totalité des 125 sièges du Parlement lors des élections de juillet. Une victoire qui a été rendue possible par l'interdiction du seul parti d'opposition capable de défier le Parti du peuple cambodgien. Mais les bénéfices de cette abondance chinoise ont été minimes, tandis que les inégalités n'ont fait que grandir, creusant le fossé entre d'un côté les classes aisées et les milieux politiques et de l'autre, le reste de la population qui ne peut que subir la situation.


Montée des tensions

Le Cambodge avait déjà vu arriver un flux d'étrangers et de capitaux auparavant. Les Nations Unies, au début des années 1990, ont investi des milliards de dollars dans le cadre du maintien de la paix, sans compter l'arrivée des ONG occidentales qui a suivi peu après. Beaucoup a été fait : déminage, élections démocratiques, amélioration des infrastructures et du système de santé, eau potable et eaux usées… Mais les travailleurs humanitaires occidentaux ont été souvent critiqués pour leurs salaires, leurs grosses voitures et leur comportement, trop souvent considéré comme méprisant envers les Khmers. Puis les Russes sont arrivés, achetant des îles et des propriétés sur la côte dans le cadre de contrats s'apparentant souvent au crime organisé, avant de repartir il y a quatre ans en pleine crise du rouble. Leur départ a laissé de nombreuses opportunités pour les SOE chinoises, qui ont pu racheter des biens immobiliers au rabais. Cette sinisation a créé des problèmes sur d'autres fronts. Comme dans beaucoup d'autres régions, cela fait plusieurs siècles que des Chinois viennent vivre dans le pays. Ils se sont adaptés. Ils ont appris la langue et se sont mariés avec des Cambodgiens, et ils ont beaucoup apporté à la société cambodgienne. Mais avec la montée des tensions, ils craignent d'être accusés des mêmes torts que ceux que l'on reproche aux nouveaux arrivants chinois. Près de sept milliards de dollars ont encore été alloués pour les investissements chinois au Cambodge. Mais les investisseurs de la puissance chinoise, des rues de Sihanoukville aux coulisses du pouvoir de Phnom Penh, devront changer de comportement s'ils veulent être accueillis favorablement.

Par Luke Hunt, journaliste et éditorialiste pour l'agence de presse Ucanews.
Publié sur www.eglasie.mepasie.org le 13/10/2018

mardi 27 mars 2012

Chroniques émergentes : la Chine malade de soif

Février 2010. Je suis au Vietnam ; je remonte en bateau le Mékong et ses affluents depuis son delta pour rejoindre Phnom Penh au Cambodge. Le fleuve, le plus grand d'Asie du Sud-Est, est couleur de boue. Mais ce qui me frappe, c'est son niveau manifestement très bas. Le Mékong est une artère de communication pour l'économie agricole et c'est lui qui permet les cultures grâce à l'irrigation.

Arrivé dans la capitale cambodgienne, il ne me faut pas longtemps pour constater l'extrême sécheresse qui sévit dans les campagnes autour de la ville. J'apprends que le ton monte entre d'une part les pays du bassin du Mékong (Vietnam, Laos, Cambodge, Thaïlande, faisant partie de la Commission du Mékong) et la Chine, cette dernière étant en train de construire jusqu'à huit barrages sur le cours amont du fleuve, qui prend sa source dans l'Himalaya chinoise.

Le mois suivant, le Bangkok Post titrait : "Les barrages chinois tuent le Mékong". Le programme des Nations unies pour l'environnement s'est emparé en vain du problème, avertissant que les projets hydrauliques chinois pourraient causer "une menace considérable" pour la rivière et ses richesses naturelles.

La Commission du Mékong, dont ne fait pas partie la Chine, progresse dans la coopération internationale des pays "aval". Ainsi, un accord a été trouvé pour suspendre la décision de construction d'un barrage au Laos afin de procéder à des études complémentaires sur les conséquences environnementales de ce projet controversé.

L'eau, pour l'instant, n'induit dans cette région du monde que des batailles diplomatiques ou d'experts.

Une Chine malade de la soif

C'est vrai qu'en Chine, la région du Yunnan est particulièrement touchée par la sécheresse. Le gouvernement a donc décidé la construction d'une série de barrages pour générer de l'électricité d'une part, et irriguer les terres agricoles d'autre part.

Les trois premiers barrages sont opérationnels, ils sont de taille moyenne pour ce qui est de la retenue d'eau, mais le quatrième est l'un des plus hauts du monde. Le remplissage de son lac de retenue a commencé et durera, tenez-vous bien, entre cinq et 10 ans pour contenir 15 milliards de m3 !

Comme d'habitude, la Chine a lancé ce programme sans concertation... Et les pays concernés découvrent les conséquences dramatiques sur les millions de gens vivant en aval – souvent des paysans, des pêcheurs, une population pauvre, avec comme corollaire un impact sur la production agricole, mais aussi sur les villes moyennes de la région. La Chine est donc invitée à coopérer dans la gestion de l'eau du Mékong, mais le fera-t-elle ?

La préoccupation pour la ressource hydrique est fondamentale en Chine et les projets hallucinants ne manquent pas. Il faut dire que la situation a de quoi inquiéter. Ainsi, 40% de la population vit dans les plaines du nord, lesquelles n'ont que 15% des ressources en eau, selon la Banque mondiale. Un projet pharaonique est en cours d'exécution pour détourner une partie des eaux du Yang Tsé vers le nord au moyen de trois canaux.

Mais la controverse fait rage car depuis, la sécheresse a frappé également le bassin du Yang Tsé. Les scientifiques pointent du doigt que l'eau du sud ne suffira pas à régler le stress hydrique du nord et ne fera que retarder l'arrivée de la crise de l'eau. Pékin hésite à poursuivre le projet...
D'autres idées incroyables sont sorties des cartons, comme celle de monter l'eau de mer à 1 200 mètres pour créer des lacs dont l'évaporation constituerait des nuages porteurs d'une pluie bienfaisante ! L'emballement de la créativité des technocrates et des ingénieurs montre bien que le sujet de l'eau est devenu essentiel. Si la guerre de l'eau n'est pas encore déclarée, la "chasse à l'eau" a bel et bien débuté.

L'eau plus précieuse que jamais

L'eau et sa disponibilité pour les sept milliards d'êtres humains est évidemment un des plus grands défis de notre temps. Cela avait d'ailleurs été le thème que j'avais choisi pour la toute première lettre de Défis & Profits il y a quatre ans.

Et vous vous en doutez, la situation ne s'est pas améliorée depuis 2008... Deux facteurs contribuent à cette détérioration :
- l'augmentation de la population mondiale, dont je vous parle régulièrement, et qui est pour moi la mère de tous les grands défis ;
- les changements climatiques qui d'ailleurs n'y sont pas totalement étrangers. Le problème de l'eau est indissociable des évolutions climatiques. Tenez, à la sécheresse de 2010 au sud-est asiatique, évoquée ci-dessus, ont répondu les terribles inondations de 2011 en Thaïlande et au Cambodge.


Le phénomène de La Niña vient lui aussi perturber la vie des Sud-Américains. Mais ne partons pas dans tous les sens et laissons de côté le sujet du climat pour cette fois. Sachez seulement qu'aujourd'hui, plus d'un milliard d'hommes n'a pas accès à l'eau potable.
Combien faut-il d'eau et où la trouver ?

C'est la FAO (Food Agriculture Organisation, agence de l'ONU) qui diffuse les statistiques mondiales des ressources en eau pour l'ONU. Il faut toujours se méfier des statistiques et les prendre avec précaution. Pour les eaux de surface, l'estimation de la FAO est de 40 000 milliards de m3 en circulation. Mais pour des raisons de neutralité politique et, sauf en cas de traité spécifique, sachez que lorsqu'un fleuve traverse plusieurs pays, son débit est compté autant de fois qu'il y a de pays ! De quoi générer de sérieux problèmes pour une gestion intelligente de l'eau !

Quoi qu'il en soit, le point positif est que l'eau est abondante sur notre planète ; mais, vous le savez, 97% de cette eau est salée ! Dans les 3% d'eau douce, 70% sont dans les glaciers et les neiges permanentes. Sur les 30% liquides restants, 75% sont pollués et impropres à la consommation, ce qui au final permet à l'être humain de n'utiliser que 0,25% de cette énorme masse d'eau de la planète. Un comble, non ?

L'eau potable est rare sur la planète et inégalement répartie. Les précipitations sur les zones terrestres sont estimées à 110 000 milliards de m3 par an, de manière évidemment très inégalement répartis dans le monde. 64% de ces précipitations sont reprises par évaporation, les 36% restants alimentent les rivières et les nappes souterraines. Les régions arides qui en reçoivent peu sont en état de pénurie physique (Asie centrale, Maghreb et Moyen-Orient, sud de l'Inde, sud-ouest des Etats-Unis et une partie du Mexique, sud-est de l'Australie).

La pénurie d'eau peut avoir aussi une origine économique : ce sont les pays correctement arrosés qui souffrent d'un déficit d'infrastructures hydrauliques (Colombie, Equateur, Pérou, Afrique sub-saharienne, Birmanie, Laos, Cambodge, centre de l'Inde).

Pour d'autres pays enfin, la pénurie est imminente en raison du fort prélèvement des eaux des rivières pour les besoins humains. La consommation de l'eau a été multipliée par neuf depuis 1900 : la population continue de croître, elle se concentre dans les zones urbaines et l'amélioration du niveau de vie stimule la demande par habitant. Ce qui fait que la situation actuelle n'est véritablement pas tenable.

L'agriculture consomme 70% de l'eau, devant l'industrie (20%) et les municipalités (10%). Mais cette répartition va évoluer avec par exemple une industrie plus consommatrice et une agriculture plus économe. Le secteur de l'industrie en particulier va voir sa demande en eau s'apprécier de plus en plus en raison de l'équipement des pays émergents.

L'eau s'affirme donc de plus en plus comme un enjeu crucial des décennies à venir, et en particulier dans les Emergents. Les entreprises qui offrent des biens et des services liés à l'eau (approvisionnement, traitement, distribution, assainissement) rencontrent une vive demande et par voie de conséquence, des taux annuels de croissance pouvant atteindre 15%.
Ce mois-ci, dans Défis & Profits, Jean-Claude vous propose d'investir dans une entreprise d'infrastructures liées à l'approvisionnement en eau : puits, barrages, pompes, usines de traitement des eaux en surface ou enfouies, stockage d'eau, usines de retraitement des eaux usées, et des tuyaux. Un titre qui devrait rapidement s'apprécier de 12% à 15%. Et à plus long terme, Jean-Claude vise une hausse de 45%. Une valeur à découvrir dans Défis & Profits.

Le 27/03/2012, Jean-Claude Périvier, rédacteur de Défis & Profits