mercredi 23 mai 2018

Vers un canal entre les mers Noire et Caspienne ?

Le président du Kazakhstan est redevenu l'un des commentateurs les plus cités des médias du monde la semaine dernière. Au sommet des pays de l'EEE le 14 mai à Sotchi, le leader kazakh a annoncé la possibilité de construire un canal de navigation entre les mers Noire et Caspienne. L'idée n'est pas nouvelle et, comme l'a dit Nazarbaïev lui-même : «Elle a été exprimée même sous le tsar». Alors, qu’est-ce qui entrave la volonté du président du Kazakhstan et des tsars russes des siècles passés ? La réponse, en général, se trouve sous la surface : personne n'a annulé les revendications géopolitiques et économiques des différents états. Surtout avec les réalités politiques modernes, parfois très complexes. Mais afin de comprendre la question en détail, voici un bref rappel de l’histoire.

Noursoultan Nazarbaïev a abordé pour la première fois la construction d’un canal il y a 11 ans, en 2007 dans le cadre des conditions d'intégration des pays du CEEA. Et il a été très symbolique que cette même année, le président Vladimir Poutine a déclaré que le pays avait la nécessité d'élargir les cours d'eau sur le territoire de la Russie, ce qui suggère une alternative de modernisation du canal Volga-Don. Cependant Nazarbaïev a proposé un canal plus court de 1000 km que celui envisagé par les Russes. De plus, ce canal eurasien pourrait permettre de transporter  beaucoup plus de poids que le russe, soit jusqu'à 45 millions de tonnes par an. Mais le bénéfice n'est pas seulement dans la durée du voyage, bien que ce fait puisse jouer un rôle significatif dans les développement commerciaux. Cependant, les questions économiques ne sont pas toujours une priorité, quand la géopolitique entre en jeu. Mais aussi, la Russie de 2018 n'est pas le même pays qu'il y a 11 ans. Donc, en cela, les experts du monde sont d'accord, il semble que maintenant, l'idée de Nazarbaïev arrive au bon moment.

Le président du Kazakhstan est un grand pragmatique, personne ne peut le contester, et il ne faut pas aller loin pour trouver des exemples. Noursoultan Nazarbaïev a été le premier a parler de l'idée de créer un espace économique unique en 1994, qui a ensuite abouti à la création de la l’union douanière en 2014,  où parmi les candidats à l'entrée se trouvent la Moldavie, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan. De janvier à février 2018, le volume des échanges au sein de l'union douanière a atteint 8,6 milliards de dollars, soit 14,4% de plus qu'à la même période en 2017.

Cependant, la nouvelle initiative de Nazarbaïev de construire le canal d'Eurasie peut être considérée comme une autre poussée pour le développement de l’union douanière. Les infrastructures de l’union douanière peuvent servir de pont entre l'Asie et l'Europe, l'Est et l'Ouest, les océans Pacifique et Atlantique. Pour le Kazakhstan, ce projet est tout simplement nécessaire. Près de 70% des matières premières kazakhes sont transportés à travers la Russie. Une nouvelle route de transport permettra de réduire le temps et les coûts de transport. Il suffit de comparer : à présent Astana transporte son pétrole jusqu’aux ports de la mer Noire, en empruntant le pipeline CPC.

Si le nouveau canal voit le jour, il pourra recevoir des navires d'une capacité de chargement allant jusqu'à 10 000 tonnes. Les avantages seront non seulement pour le Kazakhstan, mais aussi pour tous les États caspiens. La construction du canal, aura un effet économique classique et tout à fait prévisible. Il donnera un nouvel élan au développement des industries connexes : la constructionet la construction navale donneront du travail à des centaines de personnes. Mais pas seulement. La nouvelle route maritime eurasienne deviendra un débouché vers la mer pour tous les pays d'Asie centrale. La Russie, qui sera traversée, recevra un paiement pour l'utilisation de son tronçon. Donc pour ce pays, le projet proposé est principalement de nature économique, ce qui est reconnu par les experts russes. Une nouvelle voie navigable sera en mesure d'influencer l'image de l'EEE, y compris de Moscou.

Le politologue russe bien connu Sergei Markov a écrit que l'impulsion pour débuter la construction du canal est le désir de faire revivre l'Union économique eurasienne. Il semblerait que les États-Unis, la Chine et l'UE ne souhaite pas vraiment voir émerger une union économique concurrente. L'idée de construire un chemin direct, minimisant la dépendance au transit, a longtemps été considérée par certains pays de l'UEEA. Il y a un mois, le chef d’Etat chinois, Xi Jinping et le Premier ministre du Pakistan, Shahid Abbasi Hakan Hainan ont accepté de construire un couloir Chine-Pakistan. Ce projet d'infrastructure, à hauteur de 46 milliards de $, comprend la construction d'une vaste réseau de routes et de chemins de fer. Autrement dit, si aujourd'hui le Kazakhstan n'offre pas une alternative plus avantageuse, les produits chinois seront transportés autrement, en contournant les pays de l'UEEA.

Ce n’est pas par hasard si lors du dernier sommet à Sotchi, Noursoultan Nazarbaïev, a invité ses collègues à réfléchir à la construction d'une autoroute à grande vitesse « Eurasie », qui relierait l'Europe avec l'Asie à travers la Russie et le Kazakhstan. Autrement dit, l'artère de transport proposée par Astana serait également une nouvelle opportunité et un moyen d'exportation pour les producteurs chinois. A titre de comparaison, le délai moyen de livraison des produits chinois vers l'Europe atteint 2 mois en ce moment. Avec l'avènement d'une nouvelle voie de transport, cette période pourrait être réduite à 10 jours. Selon les experts, le nouveau canal pourrait être financé sur 10 ans. Une telle période pour une construction à grande échelle est tout à fait acceptable. Quand il y a 11 ans, les analystes, les économistes et les politologues ont étudié l'idée de Nazarbaïev sur la construction de l'Eurasie. Ils ont déclaré qu’en leur donnant accès à la mer, le nouveau canal peut changer la situation géopolitique des pays de la Caspienne. Cette perspective semble justifier tout le montant des budgets à consacrer.

Aucun commentaire: