Mardi après-midi, la surprise se lisait encore sur plus d'un visage à Bir al-Abed. Ce quartier de Dahye, banlieue chiite du sud de Beyrouth et bastion du parti islamiste chiite Hezbollah, a été touché le matin même par un attentat à la voiture piégée. Plusieurs heures après l'attaque, les rues aux alentours du parking où a eu lieu l'explosion ont encore des airs de chaos. Des épaves de voitures calcinées jonchent le bitume recouvert de débris de verre : de nombreuses vitrines ont été pulvérisées lors de l'explosion. Tout autour, des habitants hagards observent la scène du haut de leurs balcons, alors que nombre de portes et de fenêtres des habitations ont été soufflées. Zeinab était en train de se reposer lorsque la vitre de son salon s'est brisée. "J'avais des morceaux de verre partout sur mes jambes et du sang qui coulait, mais j'avais tellement peur que je ne pouvais pas bouger", déplore cette personne âgée. Selon le ministère de l'Intérieur libanais, 53 personnes ont été légèrement blessées lors de l'explosion. Survenu le premier jour du ramadan pour une partie des chiites, l'attentat aurait pu faire plus de victimes : il a en effet été perpétré sur le parking d'un supermarché.
Toucher l'allié de Damas
Dans une rue adjacente, deux jeunes hommes déblayent l'entrée d'un magasin de sport dont la devanture n'est plus qu'un monticule de morceaux de verre. Selon eux, ce n'est pas un hasard si le quartier, où de nombreux bureaux du Hezbollah sont situés, a été visé. "Ici, les habitants soutiennent le Hezbollah et certaines personnes sont mécontentes qu'il se batte en Syrie avec Bachar el-Assad", pense Ihab. En mai, le parti chiite a en effet déclaré officiellement aider l'armée syrienne à reprendre le contrôle des régions tenues par les rebelles. Il a notamment activement participé à la bataille de Quseir, zone stratégique située près de la frontière libanaise. Dans la banlieue sud de Beyrouth, beaucoup d'habitants considèrent cette aide comme nécessaire : le président syrien Bachar el-Assad est vu comme l'unique leader arabe à tenir tête à Israël. Il est également perçu comme le protecteur des minorités, dont les chiites font partie en Syrie.
Mohammad, le collègue d'Ihab, soupçonne les rebelles syriens d'avoir commis l'attentat : "Ils veulent se venger du Hezbollah et déplacer le conflit syrien au Liban." Pour lui comme pour son ami, pas question cependant de répondre à la provocation que constitue l'attentat : "On a conscience que ceux qui l'ont commis cherchent à diviser les Libanais en exacerbant les tensions entre chiites et sunnites." Au Liban, comme en Syrie, les divisions politiques se doublent d'une dimension communautaire : les sunnites soutiennent majoritairement la rébellion, alors que les chiites sont fidèles à Bachar el-Assad. Les répercussions du conflit syrien y sont grandes : après trente ans d'occupation syrienne, le Liban a une vie politique encore très liée à son voisin.
Contre les "terroristes", mais avec les sunnites
Mohammad et Ihab ne sont pas les seuls à vouloir prendre du recul. Non loin du parking de l'attentat, une boutique de téléphonie présente une vitrine ornée de posters à l'effigie de combattants du Hezbollah morts en Syrie. "On se bat contre Jabhat al-Nosra, les terroristes", dit le vendeur, considérant que tous les rebelles syriens en font partie. "On n'a rien contre le reste des sunnites, en Syrie comme au Liban." Khalil, vendeur de jeux vidéo, affirme ne pas être non plus un partisan de la surenchère. "La plupart des sunnites comme des chiites veulent la paix et vivre ensemble", martèle-t-il. Il n'en est pas moins sceptique concernant l'avenir du Liban. "Le problème, c'est qu'il y a toujours des idiots de part et d'autre pour se battre."
La situation n'est en effet pas si tranquille, même si les habitants de Bir el-Abed appellent à la retenue. Un cheikh chiite proche du Hezbollah et souhaitant rester anonyme avoue que la colère est là. "Certains des hommes qui fréquentent ma mosquée veulent se venger", admet-il. "J'essaye de les calmer, car pour moi il est évident qu'il y a une volonté extérieure au Liban de diviser les musulmans." L'attentat est, selon lui, l'oeuvre d'Israël qui cherche à déstabiliser le Liban afin de renforcer sa position dans la région.
La liste des suspects de l'attentat est longue pour les habitants du quartier. Une chose est sûre, malgré la volonté d'une majorité de Libanais de vivre ensemble, les actes violents se multiplient partout dans le pays. "Il faut replacer cet attentat dans une suite d'événements qui prouve que la situation ne fait qu'empirer", regrette Ali, de passage au Liban pour les vacances. En mai dernier, le quartier chiite de Shiah, à Beyrouth, avait déjà été touché par des roquettes. À l'est du pays près de la frontière syrienne, la région chiite du Hermel est elle aussi régulièrement visée par des roquettes tirées de Syrie et d'Ersal, région sunnite libanaise. Les 23 et 24 juin, la ville de Saïda dans le sud du Liban a été le théâtre d'affrontements entre les partisans du leader salafiste sunnite Ahmad al-Assir, le Hezbollah et l'armée libanaise. À Bir el-Abed, Hassan, poissonnier, est lui fataliste. Il avoue que "tout le monde a peur" au Liban et espère seulement que ses fils pourront émigrer rapidement afin d'échapper au destin d'un pays "où les problèmes ne cesseront jamais".
Par Marie Kostrz sur www.lepoint.fr le 10/07/2013
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