lundi 22 juillet 2013

Corée du Nord : un capitalisme en construction

 
Bien que la Corée du Nord se considère officiellement comme un pays socialiste, on voit s'y développer actuellement de façon non négligeable l'économie de marché sous ses formes les plus simples : marchés, agriculture, petits ateliers qui fabriquent des vêtements, des chaussures, et des produits ménagers simples. Mais il y a aussi des entreprises de plus grande taille, comme par exemple les mines de charbon privées.

  Une question se pose : comment les entrepreneurs nord-coréens travaillent-ils en l'absence de tout cadre juridique pour leurs activités ? Ce mystère trouve une explication dans le fait que dans la Corée d'aujourd'hui la frontière entre entreprises privées et entreprises d'Etat s'est estompée. Beaucoup d'entreprises théoriquement considérées comme publiques, appartiennent en pratique à des personnes privées.

Ceci est caractéristique des entreprises du commerce extérieur nord-coréen. Depuis la fin des années 1970, la Corée du Nord s'est mise à négliger le principe du monopole d'Etat sur ​​le commerce extérieur. Les organisations gouvernementales nord-coréennes, les grandes entreprises et les unités militaires ont bénéficié du droit de créer leurs propres sociétés de commerce extérieur.

Quand on affaire à une société de commerce extérieur, créant par exemple une usine d'acier, alors la situation est évidente : cette société, du moins en théorie, doit vendre les produits de cette usine. Cependant, de nombreuses entreprises de commerce extérieur ont été créées par des organisations qui en principe ne produisent rien. Par exemple, la Direction des routes de l'Etat-major des armées de Corée du Nord ou le Bureau du renseignement militaire ont une entreprise de commerce extérieur. Il est clair que les agents du renseignement ne font nullement commerce de stylo-pistolets ou autres engins d'espionnage, mais d'objets plus prosaïques.

En règle générale, les sociétés de commerce extérieur nord-coréennes reçoivent un permis d'exportation portant sur des marchandises spécifiques, produites sur un territoire défini. Par exemple, une entreprise peut obtenir le droit d'exporter des champignons des bois qui sont cultivés dans plusieurs districts d'une province ou d'une autre, de même pour l'exportation du charbon.

Cependant, il est loin le temps où le pouvoir pouvait exiger des agriculteurs locaux qu'ils aillent dans les montagnes cueillir des champignons ou envoyer des bateaux pour pêcher le calamar ou la morue à exporter. Aujourd'hui pour acquérir un produit d'exportation, il faut offrir un prix satisfaisant. C'est ce qui devient une pierre d'achoppement pour les organisations du commerce extérieur, qui ne disposent pas de l'argent nécessaire dans leur budget. Mais c'est aussi une échappatoire commode pour les capitaux nord-coréens.

En général, les représentants des entreprises, ayant le droit d'exporter, négocient avec les entrepreneurs locaux qui ont fait fortune dans l'économie souterraine. Cet entrepreneur devient l'investisseur majeur de l'entreprise de commerce extérieur, bien que formellement il ne soit pas considéré comme l'un de ses employés.

L'argent de l'investisseur sert à acheter des biens. L'investisseur peut aussi négocier la vente de biens d'exportation vers la Chine. Après l'opération, l'investisseur verse au budget de l'Etat une somme dont le montant a été convenu à l'avance, et tout ce qu'il a pu gagner en plus de cette somme va dans sa poche.

Ainsi, on peut créer des entreprises privées d'une certaine taille, comme les mines de charbon ou les mines d'or. Formellement, ces mines sont considérées comme appartenant à des société du commerce extérieur nord-coréen, mais en pratique elles constituent des entreprises privées appartenant à un homme d'affaire local. L'investisseur privé recrute les employés, achète les équipements, organise la production et les ventes. Le charbon et l'or sont exportés, mais seulement une partie des recettes générées va dans le budget de l'Etat, l'autre partie va à la rémunération des fonctionnaires avec lesquels travaille l'entrepreneur en question, et le reste va dans les poches de ce dernier.

Ce schéma bizarre d'entreprenariat public-privé est extrêmement instable, mais, dans le contexte actuel, il fonctionne. Qu'on le veuille ou non, le volume des exportations de la Corée du Nord n'a cessé de croître ces dernières années. Il ne fait aucun doute que les activités du capital privé semi-légal nord-coréen ont joué un rôle important dans cette croissance. Les entreprises nord-coréennes, à commencer par les petits magasins et les ateliers de chaussures, apprendront à contrôler les mines d'or. 

Par Andreï Lankov sur www.alterinfo.net le 20/07/2013

Aucun commentaire: