vendredi 13 mars 2015

Kalashi, le village au bois dormant

Depuis 2010, un petit village du Kazakhstan est frappé par une maladie du sommeil que les médecins et les scientifiques ne parviennent pas à expliquer. Pas mesure de précaution, les autorités ont ordonné l'évacuation du village.

Depuis 2010, une centaine d’habitants sur les 600 âmes que compte Kalachi, un petit village du nord du Kazakhstan, souffrent d’une forme très insolite de narcolepsie. Des hommes, des femmes et des enfants s’endorment soudainement pour se réveiller parfois une semaine plus tard dans un lit d’hôpital. Les plus jeunes victimes de ce syndrome sont de surcroît frappées d’hallucinations. Une petite fille de quatre ans voit sa mère dotée de huit paires d’yeux, aperçoit « des choses qui rampent », des chevaux volants et des globes brillants rapporte le Siberian Times, au point que ses parents ont préféré quitter le village, comme de nombreux autres résidents. 

En septembre dernier, huit écoliers ont sombré en même temps dans le sommeil en l’espace d’une heure. En une autre occasion, vingt personnes se sont endormies dans le même laps de temps. 

Des équipes de médecins, de virologues, de toxicologues et d’épidémiologistes se sont rendus sur place sans parvenir à trouver une explication qui fasse l’unanimité. La piste la plus prometteuse la présence de gaz radon dans l’atmosphère en provenance des mines d’uranium exploitées jusqu’en 1991 par les 6500 habitants de la ville minière de Krasnogorsk, à quelques kilomètres de Kalachi. Mais cette thèse apparaît insuffisante pour rendre compte de l’ampleur du phénomène: les gaz anesthésiants dérivés du radon ne provoquent jamais des sommeils de plusieurs jours consécutifs et comme le remarque un ancien mineur cité par le Siberian Times, « Quand nous descendions dans la mine, la concentration en radon était très élevée et personne ne s’endormait ». Enfin, cette pathologie n'est apparue que vers 2010 et depuis semble faire retour par vagues, en mai 2013, en janvier et en mai 2014 et en ce début d’année 2015. Quel a donc été l'élément déclencheur ? Pour couronner le tout et affaiblir encore la culpabilité du radon, les nombreuses analyses et mesures effectuées dans les maisons se sont avérées négatives. 

L'autre piste envisagée est celle du monoxyde de carbone. Mais là encore, nulle trace particulièrement élevée n'a été relevée au domicile des personnes concernées, là où surviennent pourtant la majorité des endormissements. Quant aux tests médicaux réalisés sur les dormeurs, ils ne sont pas plus probants: « Nous avons procédé à des analyses de sang et du liquide céphalo-rachidien qui n’ont rien révélé d’anormal » explique le docteur Kabdrashit Almagambetov. 

Les cas de syndromes collectifs touchant un village entier ne sont pas inconnus. Les épidémies de danse de Saint-Guy du XIVe au XVIIIe siècle ont été recensées à travers toute l’Europe. A Strasbourg, en juillet 1518 plus de 400 personnes ont été victimes d’une épidémie dansante qui a provoqué la mort de plusieurs personnes, décédées d’épuisement ou d’arrêt cardiaque. Plus près de nous, le village de Pont-Saint-Esprit a connu en 1951, une vague de folie collective. Sur les 300 personnes touchées, 50 ont été internées pour des accès de violence et des hallucinations. Cinq autres ont trouvé la mort par suicide sous l’emprise du délire. On a attribué cette crise à l’ergot de seigle, le champignon parasite des graminées qui secrète l'acide lysergique, dont est dérivé le LSD et qui se retrouve parfois dans la farine. Un journaliste américain, Hank P. Albarelli Jr, pense avoir découvert la preuve d’une expérience secrète de la CIA qui aurait expérimenté les effets du LSD à grande échelle sur les malheureux cobayes de Pont-Saint-Esprit.

En revanche, on ne trouve nulle trace d’un équivalent de cette narcolepsie collective frappant un village entier.

Toutefois, le journal britannique The Guardian a enquêté en 2013 sur l’étrange cas d’une grande famille espagnole, les Lopez, dont les membres souffrent d’endormissements subits et profonds à n’importe quel moment de la journée. Selon les médecins qui ont étudié cette pathologie familiale, elle serait due à la carence génétique d’un neurotransmetteur, l’orexine (ou hypocrétine) que l’on soupçonne d’être impliquée dans les cas graves de narcolepsie. Les Lopez évoquent aussi des rêves de persécution si réalistes qu’ils confinent à l’hallucination ainsi que des sensations puissantes de déjà-vu. « En fait, on ne sait plus ce qui est réel ou pas » dit David Lopez, 36 ans, dont les crises de sommeil ont commencé à la fin de l’adolescence. 

On pourrait imaginer que, dans la communauté villageoise assez fermée de Kalachi, cette déficience en orexine se retrouve au sein de plusieurs familles mais là encore cette caractéristique ne suffirait à expliquer la durée des phases de sommeil et l’apparition récente et soudaine, en 2010, de ce syndrome. L'évacuation du village ordonnée par les autorités permettra au moins de déterminer si les causes de ce syndrome dépendent de facteurs physiologiques ou environnementaux. A moins peut-être qu'un fuseau ensorcelé...

Par David Ramasseul le 03/03/2015 sur www.parismatch.com

Aucun commentaire: