mardi 5 mars 2013

Entrevue intégrale du président syrien avec le Sunday Time

Sunday Times : Monsieur le Président, votre récente offre de « dialogue politique » a été fermement rejetée par ces mêmes groupes que vous devez  pacifier pour mettre fin à la violence : les rebelles armés et la Coalition nationale syrienne, principale alliance de l'opposition. Vous offrez donc un rameau d'olivier à la seule opposition loyaliste, en majorité interne, qui renonce à la lutte armée et reconnaît effectivement la légitimité de votre leadership. Avec qui êtes-vous vraiment prêt à dialoguer ?

Le président Assad : Pour plus de précision, permettez-moi de commencer par corriger certaines idées fausses qui circulent et qui sont sous-entendues dans votre question.

Sunday Times : Bien.

Le président Assad : Premièrement, lorsque j'ai annoncé « le plan » [1], j'ai dit que je m'adressais à ceux que le dialogue intéresse, parce que vous ne pouvez proposer un plan reposant sur le dialogue à qui ne croit pas au dialogue. J'ai donc été très clair sur cette question.

Deuxièmement, ce « dialogue ouvert » ne doit pas avoir lieu entre certains groupes exclusifs, mais entre tous les Syriens et à tous les niveaux. C'est un dialogue qui porte sur l'avenir de la Syrie. Nous sommes 23 millions de Syriens et nous avons tous le droit de participer à la construction de l'avenir du pays. Certains peuvent le regarder comme un dialogue entre le gouvernement et certains groupes de l'opposition « externe ou interne ». C'est, en fait, une façon très superficielle de le voir. Il est beaucoup plus global et concerne chaque Syrien et tous les aspects de la vie syrienne. L'avenir de la Syrie ne peut être  déterminé par ses seuls dirigeants, mais par les ambitions et les aspirations de tout son peuple.

L'autre aspect de ce dialogue est qu'il ouvre la porte aux groupes armés pour qu'ils déposent leurs armes. D'ailleurs, nous avons accordé plus d'une amnistie pour faciliter cela. C'est la seule façon d'installer le dialogue avec ces groupes. Cela avait commencé, avant même l'annonce du plan, certains ayant déjà rendu les armes et repris le cours de leur vie normale. Mais, ce « plan » rend le processus plus méthodique, publiquement annoncé et clair.

Concernant l'opposition, une autre erreur de l'Occident consiste à mettre toutes les entités, mêmes hétérogènes, dans le même panier ; comme si tout ce qui s'oppose au gouvernement est dans cette opposition. Nous nous devons d'être clairs sur ce point. Nous avons une opposition correspondant à des entités politiques et nous avons des terroristes armés. Nous pouvons engager le dialogue avec l'opposition, mais nous ne pouvons pas engager le dialogue avec les terroristes ; nous luttons contre le terrorisme !

Une phrase revient souvent [en Occident] : « l'opposition de l'intérieur de la Syrie » ou « l'opposition interne loyale envers le gouvernement »… Les groupes d'opposition devraient être patriotes et loyaux envers la Syrie ! L'opposition interne et externe ne relèvent pas d'une localisation géographique, mais de leurs racines, de leurs ressources, et de leurs représentants. Sont-elles enracinées dans la terre syrienne ? Représentent-elles le peuple syrien et les intérêts syriens ou les intérêts d'un gouvernement étranger ? C'est notre façon de regarder le dialogue, c'est ainsi que nous l'avons commencé, et c'est ainsi que nous allons le poursuivre.

Sunday Times : La plupart l'ont rejeté, du moins si nous parlons des opposants de l'extérieur qui sont devenus « l'organisation saluée en tant qu'Opposition » avec, fondamentalement, le monde entier derrière eux. La plupart l'ont en effet rejeté et certains de ces opposants ont décrit votre offre comme une «perte de temps» ; d'autres ont déclaré qu'il s'agissait d'une « rhétorique creuse » fondée sur un manque de confiance ; William Hague, ministre britannique des Affaires étrangères, considérant qu'elle allait « au-delà de l'hypocrisie », les Américains disant que vous étiez dans un " déni de la réalité " !

Le président Assad : Je ne ferai aucun commentaire sur ce que ces soi-disant organisations, extérieures à la Syrie, ont dit. Ces organisations ne sont pas indépendantes. En tant que Syriens, nous sommes indépendants et nous devons répondre à des organisations indépendantes, ce qui n'est pas leur cas. Alors, intéressons-nous aux autres allégations.

À propos du « déni de la réalité » : la Syrie se bat contre les adversaires et les ennemis depuis deux ans ; vous ne pouvez pas le faire si vous n'avez pas le soutien du peuple. Le peuple ne vous soutiendra pas si vous êtes détaché de la réalité. Au Royaume-Uni, une étude récente montre qu'une proportion non négligeable de britanniques demandent à leur gouvernement de « rester en dehors de la Syrie » et pensent pas qu'il ne devrait pas fournir du matériel militaire aux rebelles en Syrie. En dépit de cela, le gouvernement britannique continue de pousser l'Union européenne à lever son embargo sur les armes en direction des rebelles en Syrie, et à entreprendre de leur livrer des « armes lourdes ». Etre ainsi détaché de votre propre opinion publique, c'est ce que j'appelle un « déni de la réalité » !

Ils vont plus loin encore lorsqu'ils déclarent qu'ils veulent envoyer une « aide militaire » qu'ils présentent comme « non létales » ; alors que les renseignements, l'assistance financière et en moyens de communication fournis, sont quand même létaux ! Les événements du 11 Septembre n'ont pas été commis par des « aides létales ». C'est l'utilisation et l'entrainement à une technologie non-létale qui ont causé les atrocités. Le gouvernement britannique veut envoyer une aide militaire aux « groupes modérés », en sachant très bien que ces groupes modérés n'existent pas en Syrie. Maintenant, nous savons tous que nous combattons Al-Qaïda ou Jabhat al-Nusra – qui est une émanation d'Al-Qaïda – et d'autres groupes d'individus endoctrinés par des idéologies extrémistes. C'est cela qui est « au-delà de l'hypocrisie » !

Ce qui est « au-delà de l'hypocrisie » est que vous parliez de « liberté d'expression » quand vous bannissez la diffusion des chaines de télévision syriennes par les satellites européens ; quand vous pleurez pour quelqu'un qui a été tué par des terroristes en Syrie, tout en empêchant le Conseil de sécurité de prononcer une déclaration dénonçant un attentat suicide, tel celui qui a eu lieu la semaine dernière à Damas, alors que vous y étiez, et  où trois cents Syriens dont des femmes et des enfants ont été tués ou blessés… tous des civils ! C'est au-delà de l'hypocrisie quand vous prêchez les droits de l'homme et que vous allez, en Irak, en Afghanistan et en Libye, tuer des centaines de milliers de personnes dans des guerres illégales. C'est au-delà de l'hypocrisie quand vous parlez de démocratie et que vos alliés les plus proches sont les pires régimes autocratiques du monde et appartiennent aux siècles médiévaux. C'est cela l'hypocrisie !

Sunday Times : Mais vous vous référez toujours aux personnes qui se battent ici [en Syrie] comme à des terroristes, acceptez-vous, même si certains sont de Jabhat al-Nusra ou affiliés à Al-Qaïda, qu'il en existe d'autres qui sont de l'ASL [Armée Syrienne Libre] ou sous l'égide de l'ASL ? Acceptez-vous que certains soient des déserteurs et que certains autres soient simplement des gens ordinaires qui ont initié une frange de la rébellion ? Ceux-là ne sont pas des terroristes ; ce sont des gens qui se battent pour ce qu'ils croient être bon pour le moment.

Le président Assad : Quand nous disons que nous combattons Al-Qaïda, nous voulons dire que le groupe terroriste principal et le plus dangereux est Al-Qaïda. J'ai dit lors de plusieurs interviews et discours que ce n'est pas le seul groupe présent en Syrie. Le spectre va des petits criminels, aux trafiquants de drogue, aux groupes qui kidnappent et tuent juste pour de l'argent, jusqu'aux mercenaires et rebelles armés. Il est clair que ceux-là n'ont ni programme politique ni aucune motivation idéologique.

La soi-disant « Armée Syrienne libre » n'est pas l'entité que l'Occident voudrait faire croire à vos lecteurs. Il y a des centaines de petits groupes tels que définis par les organismes internationaux qui travaillent avec Annan et Al-Ibrahimi. Il ne s'agit en aucun cas d'une entité, il n'y a pas de leadership, il n'y a pas de hiérarchie ; mais différents gangs oeuvrant pour diverses raisons. L' « Armée syrienne libre » est tout simplement le titre, le parapluie utilisé pour légitimer ces groupes.

Cela ne veut pas dire qu'i il n'y avait pas un mouvement spontané au tout début du conflit. Il y avait des gens qui voulaient des changements en Syrie et je l'ai moi même publiquement reconnu à plusieurs reprises. C'est pourquoi j'ai dit que le dialogue n'est pas pour le conflit en soi mais concerne l'avenir de la Syrie, parce que beaucoup de groupes persistent dans leur volonté de changement et sont désormais contre les terroristes. Ils continuent à s'opposer au gouvernement, mais ne portent pas d'armes. Que vous ayez des besoins légitimes ne rend pas vos armes légitimes !

Sunday Times : Dans votre plan en 3 étapes, la première parle de la cessation de la violence. Manifestement, il y a d'une part l'armée et d'autre part les combattants. Or, dans le cas de l'armée vous avez une hiérarchie et donc si vous voulez un cessez-le-feu, il y a un commandant qui peut le contrôler. Mais quand vous proposez la cessation de la violence ou du feu, comment pouvez-vous supposer la même chose pour autant de groupes rebelles que vous dites si dispersés et sans direction unifiée ? C'est donc l'une des exigences de votre plan qui parait fondamentalement  impossible. Ensuite, vous parlez de référendum, mais étant donné le grand nombre de personnes déplacées à l'intérieur et à l'extérieur de vos frontières dont beaucoup sont l'épine dorsale de l'opposition, il ne semble pas que les résultats de ce référendum puissent être justes. Enfin, la troisième étape de votre plan concernant les élections législatives, espérées avant 2014, fait que la liste des réalisations à atteindre d'ici là est fort longue ! Dès lors, quelles sont vos véritables conditions pour que le dialogue se tienne, et est ce que certaines de vos conditions suggérées ou offertes ne sont pas impossibles à réaliser?

Le président Assad : Cela dépend de la façon dont nous regardons la situation. Tout d'abord, disons que l'article principal du plan est le dialogue, lequel dialogue décidera du calendrier de tout le reste, dont les procédures et les détails de ce même plan. Le premier article implique la cessation de la violence. Si nous ne pouvons pas arrêter cette violence, comment pourrions-nous parvenir aux autres articles tels que le référendum et les élections, et ainsi de suite ? Mais dire que vous ne pouvez pas arrêter la violence n'est pas une raison pour ne rien faire. Oui, il ya beaucoup de groupes sans réel leadership comme je les ai décrits, mais nous savons que leur véritable leadership se situe dans ces pays qui les financent et leur fournissent armes et équipements ; principalement la Turquie, le Qatar et l'Arabie saoudite. Si des pays tiers veulent vraiment aider le processus planifié, ils doivent faire pression sur ces pays afin qu'ils cessent d'approvisionner les terroristes. Comme tout autre État souverain, nous ne négocierons pas avec des terroristes !

Sunday Times : Vos critiques disent que d'authentiques et véritables négociations pourraient mener à votre chute et à celle de votre gouvernement ou régime, que vous le savez, et que c'est pour cela que vous proposez des scénarios pratiquement irréalisables pour le dialogue et les négociations.

Le président Assad : En fait, je ne sais pas cela, je sais son contraire ! Restons logiques et réalistes. Si tel était le cas, ces ennemis, adversaires ou opposants devraient pousser au dialogue puisqu'ils estiment qu'il leur offrira ma chute. En réalité, ils font tout le contraire. Ils empêchent les «organisations de l'opposition extérieures à la Syrie » de participer au dialogue, car je pense qu'ils croient l'exact opposé de ce qu'ils disent et savent que ce dialogue n'amènera pas ma chute, mais fera que la Syrie en sortira vraiment plus forte. Ceci pour le premier aspect.

Le deuxième aspect est que l'ensemble du dialogue porte sur la Syrie, sur l'avenir de la Syrie et aussi sur le terrorisme ; non sur les postes et les personnalités. Par conséquent, ils feraient mieux de ne pas détourner l'attention du peuple en parlant de ce dialogue et de ce qu'il pourrait apporter ou non au président. Je ne le fais pas moi-même. En fin de compte, c'est une contradiction. Ce qu'ils disent est  en contradiction avec ce qu'ils font !

Sunday Times : Vous avez bien dit que s'ils poussaient au dialogue, ils pourraient entrainer votre chute ?

Le président Assad : Non, vu ce qu'ils déclarent pouvoir amener ma chute, j'ai dit : pourquoi ne viendraient-ils pas au dialogue? Ils disent que le dialogue conduira à la chute du président et moi, je les invite au dialogue. Pourquoi n'acceptent-ils pas un dialogue pour s'offrir ma chute ? La réponse est évidente. C'est pourquoi j'ai dit qu'ils se contredisent !

Sunday Times : Monsieur le Président, John Kerry, un homme que vous connaissez bien, a commencé une tournée qui le mènera ce week-end en Arabie saoudite, au Qatar et en Turquie où il leur parlera des moyens de « faciliter votre éviction ». En début de semaine, il a déclaré à Londres comme à Berlin que le président Assad devait partir et aussi qu'une de ses premières actions serait d'élaborer des propositions diplomatiques pour vous persuader d'abandonner le pouvoir. L'inviteriez-vous à Damas pour en discuter ? Que lui diriez-vous ? Quel serait votre message du moment, étant donné ses déclarations et ce qu'il s'est préparé à dire à ses alliés lors de sa visite de cette fin de semaine ? Et, si possible, comment le décririez-vous en fonction de vos relations dans le passé ?

Le président Assad : Je préfère décrire les politiques plutôt que de décrire les personnes. Aussi, il est encore trop tôt pour le juger. Il est à seulement quelques semaines de sa nomination en tant que secrétaire d'État. Mais, avant tout, le point que vous avez évoqué est lié à des questions ou à des affaires internes syriennes. Aucun sujet syrien de cet ordre ne sera soulevé avec des personnes étrangères. Nous n'en discutons qu'entre syriens et en Syrie. Je ne vais donc pas en discuter avec quiconque qui viendrait de l'étranger. Nous avons des amis et nous discutons de nos problèmes avec les amis. Nous écoutons leurs conseils, mais finalement la décision est nôtre et il nous appartient, en tant que syriens, de penser ou de faire ce qui est bon pour notre pays.

Si quelqu'un veut « vraiment » – et j'insiste sur le mot vraiment – aider la Syrie et aider à la cessation de la violence dans notre pays, il ne peut faire qu'une seule chose ; il peut se rendre en Turquie et s'asseoir avec Erdogan pour lui dire de stopper la contrebande de terroristes vers la Syrie, d'arrêter d'envoyer des armes, de cesser de fournir un soutien logistique aux terroristes. Il peut aussi aller à Arabie saoudite et au Qatar pour leur dire de cesser de financer les terroristes en Syrie. C'est la seule chose que n'importe qui pourrait faire en ce qui concerne le versant externe de notre problème, mais nul étranger ne peut s'occuper du versant interne.

Sunday Times : Alors, quel est votre message à Kerry ?

Le président Assad : Il est très clair. Il faut comprendre que ce que je dis aujourd'hui, n'est pas un message adressé à Kerry seulement, mais à tous ceux qui parlent de la question syrienne : seul le peuple syrien peut dire au président de rester ou de quitter, de venir ou de partir. Je le dis clairement afin que tous les autres ne perdent pas leur temps et sachent sur quoi se concentrer.

Sunday Times : Quel rôle, le cas échéant, voyez-vous pour la Grande-Bretagne au niveau du processus de paix en Syrie ? Y a-t-il eu des contacts informels avec les Britanniques ? Quelle est votre réaction devant le soutien de Cameron à l'opposition ? Que lui diriez-vous si vous étiez assis en face de lui en ce moment, surtout que la Grande-Bretagne appelle à l'armement des rebelles ?

Le président Assad : Il n'y a pas de contact entre la Syrie et la Grande-Bretagne depuis longtemps. Si nous parlons de son rôle, nous ne pouvons pas le séparer de sa crédibilité, comme nous ne pouvons pas séparer sa crédibilité, elle-même, de l'histoire de ce pays. Pour être franc, maintenant que je parle à une journaliste britannique et à un public britannique, la Grande-Bretagne a joué un fameux rôle [dans notre région], un rôle non constructif dans plusieurs domaines et depuis des décennies, certains diraient depuis des siècles ! Je vous dis ici la perception que nous en avons dans notre région.

Le problème avec ce gouvernement est que sa rhétorique superficielle et immature ne fait que souligner cette tradition de harcèlement et d'hégémonie. Franchement, comment peut-on s'attendre à ce que nous demandions à la Grande-Bretagne de jouer un rôle en Syrie alors qu'elle est déterminée à militariser le problème ? Comment pourrions-nous leur demander de jouer un rôle pour que la situation s'améliore et se stabilise ? Comment pourrions-nous nous attendre à ce qu'ils contribuent à atténuer la violence, alors qu'ils veulent envoyer des fournitures militaires aux terroristes et n'essayent même pas de faciliter le dialogue entre les Syriens ? Ce ne serait pas logique. Je pense qu'ils travaillent contre nous et contre les propres intérêts du Royaume-Uni. Ce gouvernement agit d'une manière naïve, confuse et peu réaliste. Si les Britanniques veulent jouer un rôle, ils devraient changer cela et agir d'une manière plus raisonnable et responsable. D'ici-là, nous n'attendons pas qu'un pyromane se comporte en pompier !

Sunday Times : En 2011, vous aviez dit que vous ne gaspillerez pas votre temps à parler avec les meneurs de l'opposition. Je parle ici des organisations externes dont vous aviez, en fait, à peine reconnu l'existence. Qu'est-ce qui vous a récemment fait changer d'avis ? Quel type de pourparlers avez-vous, le cas échéant, avec les rebelles qui sont un facteur et une composante majeure dans cette crise ? Ce, d'autant plus que votre ministre des Affaires étrangères, Mouallem, a déclaré plus tôt dans la semaine et lors de sa visite en Russie que le gouvernement est ouvert à des discussions avec l'opposition armée. Pouvez-vous préciser ?

Le président Assad : En réalité, je n'ai pas changé d'avis. Encore une fois, ce plan ne leur est pas destiné, mais à tout Syrien qui accepte le dialogue. Donc, cette dernière initiative ne traduit pas un changement d'avis.

Ensuite, depuis le premier jour de cette crise, commencée il y a deux ans, nous avons dit que nous étions prêts au dialogue ; rien n'a changé depuis. Nous avons une position très cohérente à l'égard du dialogue. Certains pourraient comprendre que j'ai changé d'avis parce que je n'ai pas reconnu la première entité [de l'opposition], alors que je reconnaitrais la seconde entité. Je n'ai reconnu ni l'une, ni l'autre. Plus important encore, le peuple syrien ne les reconnait pas et ne les prend pas au sérieux. Lorsqu' un produit échoue sur le marché, ils le retirent. Ils changent son nom, changent son emballage avant de le rélancer. Il n'empêche qu'il est toujours défectueux. La première et la deuxième organisation de l'opposition sont un seul et même produit avec un emballage différent.

Concernant la déclaration de notre ministre, M. Moallem, elle était des plus claires. Une part de notre initiative est que nous sommes prêts à négocier avec quiconque, y compris avec les rebelles qui déposent leurs armes. Nous ne traiterons pas avec des terroristes déterminés à garder leurs armes pour terroriser la population, tuer des civils, attaquer les lieux publics ou les entreprises privées, et détruire le pays.

Sunday Times : Monsieur le Président, le monde regarde la Syrie et voit un pays en cours de destruction, avec au moins 70 000 morts, plus de 3 millions de personnes déplacées, et des divisions sectaires de plus en plus profondes. Beaucoup de gens autour du monde vous blâment. Qu'est-ce que vous leur répondez ? Êtes-vous à blâmer pour ce qui s'est passé dans le pays que vous dirigez ?

Le président Assad : Vous donnez ces chiffres comme s'il s'agissait d'un tableau numérique, alors que certains acteurs les utilisent pour faire avancer leur agenda politique, et c'est malheureusement la réalité. Pour nous Syriens et indépendamment de leur exactitude, chacun de ces chiffres représente un homme, une femme ou un enfant syriens. Quand vous parlez de milliers de victimes, nous voyons des milliers de familles qui ont perdu des êtres chers dont ils porteront le deuil pendant des années et des années. Personne ne peut éprouver cette douleur plus que nous-mêmes !

Si nous nous penchons sur la question des agendas politiques, nous devons nous poser des questions plus importantes. Comment ces chiffres ont-ils été vérifiés ? Combien de combattants étrangers représentent-ils ? Combien y a t-il de combattants âgés de 20 à 30 ans ? Combien d'entre eux étaient des civils, des femmes ou des enfants, tous innocents ? La situation sur le terrain fait qu'il est presque impossible d'obtenir des réponses précises à ces questions.

Nous savons tous combien ont été manipulés, dans le passé, les chiffres de morts et de blessés pour ouvrir la voie à des « interventions humanitaires ». Le gouvernement libyen a récemment annoncé que le nombre de morts « avant l'invasion » de la Libye a été exagéré; ils ont parlé de cinq mille victimes de part et d'autre tandis que les chiffres qui ont circulé à l'époque [de l'invasion] parlaient de dizaines de milliers de personnes.

Les Britanniques et les Étasuniens, présents physiquement en Irak pendant la guerre, ont été incapables de fournir des chiffres précis sur les victimes tuées du fait de leur invasion. Soudain, voilà que ces mêmes sources sont capables de décompter très précisément les victimes syriennes. C'est un étrange paradoxe !

C'est en toute simplicité que je vous dis que ces chiffres n'existent pas dans la réalité. Ils font partie de leur réalité virtuelle, celle qu'ils veulent créer pour faire avancer leur agenda et pousser vers une intervention militaire, sous couvert d'une intervention humanitaire !

Sunday Times : Si je puis me permettre de revenir sur ce point en particulier, même si les chiffres sont exagérés et pas vraiment précis, ils sont corroborés par des groupes syriens et quoi qu'il en soit, il n'en demeure pas moins que des milliers de syriens ont été tués. Certains étaient des combattants, mais d'autres étaient des civils. Certains sont morts lors d'offensives militaires menées, par exemple, par l'artillerie ou l'aviation sur certains secteurs. Donc, même si nous ne nous basions pas sur des chiffres exacts, ils continuent à vous blâmer pour les civils tués lors d'offensives de l'armée. Acceptez-vous cela ?

Le président Assad : Tout d'abord, nous ne pouvons pas parler de leur nombre sans citer des noms. Les personnes qui ont été tuées ont des noms. Ensuite, pourquoi sont-ils morts? Où et comment ont-ils été tués? Qui les a tués? Les bandes armées, les groupes terroristes, les criminels, les kidnappeurs, l'Armée, qui les a tués ?

Sunday Times : Une combinaison de toutes ces opérations.

Le président Assad : C'est, en effet, une combinaison ; mais il semble que vous laissez entendre qu'une seule personne est responsable de la situation actuelle et de toutes les pertes en vies humaines. Dès le premier jour, la situation en Syrie a été influencée par les dynamiques militaire et politique, le tout évoluant très rapidement. Dans de telles situations, vous avez les catalyseurs et les obstacles. Supposer qu'un côté est responsable de tous les obstacles alors qu'un autre est responsable de toutes les catalyses est absurde.

Beaucoup trop de civils innocents sont morts et beaucoup trop de Syriens sont dans la souffrance. Comme je l'ai déjà dit, personne n'est plus en peine que les Syriens eux-mêmes et c'est pourquoi nous incitons à un dialogue national. Je ne suis pas dans une affaire de blâme, mais si vous parlez de ma responsabilité, il est clair que j'ai la responsabilité constitutionnelle de garder la Syrie et son peuple à l'abri des terroristes et des groupes radicaux.

Sunday Times : Quel est le rôle d'Al-Qaïda et d'autres djihadistes et quelles menaces représentent-ils pour la région et l'Europe ? Craignez-vous que la Syrie ne se transforme en quelque chose de semblable à la Tchétchénie il y a quelques années ? Êtes-vous préoccupé par le sort des minorités si vous perdiez cette guerre, ou encore par une guerre sectaire comme en Irak ?

Le président Assad : Le rôle d'Al-Qaïda en Syrie est comme le rôle d'Al-Qaïda partout ailleurs dans le monde; assassinat, décapitation, torture, interdiction des enfants d'aller à l'école parce que, comme vous le savez, l'idéologie d'Al-Qaïda prospère là où il y a de l'ignorance. Ils tentent de s'infiltrer dans la société avec leurs sombres idéologies extrémistes, et ils réussissent !

Si vous deviez vous inquiéter pour quoi que ce soit en Syrie, ce n'est pas pour les « minorités » qu'il faudrait vous inquiéter. C'est une vision trop superficielle car la Syrie est un creuset de religions, de confessions, d'ethnies et d'idéologies qui, ensemble, forment un mélange homogène sans rapport avec des proportions ou des pourcentages. Nous devrions plutôt nous inquiéter pour la majorité des Syriens modérés qui, si nous ne combattons pas cet extrémisme, pourraient devenir la minorité. Alors la Syrie cessera d'exister !

Si vous envisagez votre inquiétude dans ce dernier sens, vous auriez du souci à vous faire pour le Moyen-Orient, parce que nous sommes le dernier bastion de la laïcité dans la région. Et si vous admettez cela, alors le monde entier devra s'inquiéter pour sa stabilité. Voilà la réalité telle que nous la voyons.

Sunday Times : Jusqu'à quel point Al-qaïda est-elle menaçante aujourd'hui ?

Le président Assad : Elle est menaçante par son idéologie plus que par ses assassinats. Certes les attentats sont dangereux, mais ce qui est tout aussi irréversible est la dangerosité de son idéologie. Nous avons mis en garde contre ceci depuis de nombreuses années, même avant le conflit, et nous avons eu à faire avec cette idéologie depuis les années soixante-dix. Nous étions les premiers de la région à faire face à ces terroristes qui ont revêtu le prétendu manteau de l'Islam.

Nous n'avons cessé d'avertir de cela, surtout pendant la décennie de l'invasion et de l'occupation de l'Afghanistan et de l'Irak. L'Occident se contente de réagir face à une situation donnée, mais n'agit pas. Nous devons commencer par traiter l'idéologie. Une guerre contre le terrorisme sans s'attaquer à l'idéologie ne mènera nulle part et ne fera qu'empirer les choses. Elle est une menace et un danger non seulement pour la Syrie, mais pour toute la région.

Sunday Times : Récemment, et notamment hier, il a été rapporté que des responsables US auraient déclaré que la décision de ne pas armer les rebelles pourrait être révisée. Si cela devait arriver quelles seront, selon vous, les conséquences en Syrie et dans la région ? Que diriez-vous pour mettre en garde contre cela, maintenant qu'ils parlent d'équiper « directement » les rebelles avec des véhicules blindés et des gilets de protection en plus d'assurer leur entrainement militaire.

Le président Assad : Vous savez que le crime ne concerne pas uniquement la victime et le criminel, mais aussi le complice et le soutien , qu'il s'agisse d'un soutien moral ou logistique. J'ai dit à plusieurs reprises que la Syrie se trouvait sur une « ligne de faille » géographiquement, politiquement, socialement et idéologiquement. Par conséquent, jouer sur cette ligne aura de graves répercussions dans tout le Moyen-Orient. Aujourd'hui, la situation est-elle meilleure en Libye ? Au Mali ? En Tunisie ? En Egypte ? N'importe quelle intervention n'améliorera pas les choses, elles iront de pire en pire. L'Europe, les États-Unis et d'autres vont tôt ou tard payer le prix de l'instabilité dans cette région, ce qu'ils n'ont pas prévu.

 Sunday Times : Quel est votre message à Israël après ses raids aériens sur la Syrie ? Userez-vous de représailles ? Comment répondrez-vous à une future attaque, d'autant plus qu'Israël a déclaré qu'il attaquerait de nouveau s'il pensait devoir le faire ?

Le président Assad : À chaque fois la Syrie a riposté, mais à sa façon et pas nécessairement du tac au tac. Nous avons riposté à notre manière et les Israéliens savent ce que nous voulons dire.

Sunday Times : Pouvez-vous développer ?

Le président Assad : Oui. Riposte ne veut pas dire missile pour missile ou balle pour balle. Notre manière de riposter n'a pas à être annoncée; les Israéliens savent de quoi je parle.

Sunday Times : Pouvez-vous nous dire comment ?

Le président Assad : Nous n'avons pas à faire ce genre d'annonce.

Sunday Times : J'ai rencontré un garçon de sept ans en Jordanie

Le président Assad : Un garçon syrien ?

Sunday Times : Un garçon syrien qui avait perdu un bras et une jambe par un tir de missile dans Herak. Cinq enfants de sa famille avaient été tués dans cette explosion. En tant que père, que pouvez-vous dire à ce petit garçon ? Pourquoi tant de civils innocents sont-ils morts sous des frappes aériennes, parfois des bombardements de l'armée et parfois, je cite, sous  « les fusillades des chabiha » ?

Le président Assad : Quel est son nom ?

Sunday Times : J'ai son nom Je vous le donnerai plus tard.

Le président Assad : Comme je l'ai déjà dit, toutes les victimes de cette crise ont un nom et chaque victime a une famille. Par exemple, le petit Saber a cinq ans et a perdu une jambe, sa mère ainsi que d'autres membres de sa famille alors qu'il ne faisait que prendre son petit déjeuner à son domicile familial. Le petit Rayan a quatre ans, il a vu ses deux frères se faire égorger parce qu'ils avaient participé à une manifestation. Aucune de ces familles n'avait d'affiliations politiques.

Les enfants sont le maillon le plus fragile dans n'importe quelle société et, malheureusement, ils paient souvent le plus lourd tribut en cas de conflit. En tant que père de jeunes enfants, je sais ce que c'est que de voir son enfant touché par une légère blessure, alors que dire en cas de graves blessures ou de décès ; la pire des choses qui puisse arriver à un famille que toute la famille ?

Dans tous les conflits, vous vivez de tels événements douloureux qui affectent toute la société ; et c'est justement la raison majeure qui nous incite fortement à lutter contre le terrorisme. Les véritables humanistes qui ressentent notre douleur face à ceux que nous avons perdus, et face à nos enfants, devraient encourager leurs gouvernements à interdire la contrebande d'armes et de terroristes et à empêcher les terroristes de recevoir des fournitures militaires de tous les pays.

Sunday Times : Monsieur le Président, la nuit, quand vous êtes couché dans votre lit, entendez-vous les explosions à Damas ? Comme tant d'autres syriens, êtes-vous inquiet pour votre famille ? Craignez-vous qu'à un moment donné votre propre sécurité soit menacée ?

Le président Assad : Je vois les choses tout à fait différemment. Quelqu'un peut-il être sûr que lui et sa famille puissent rester à l'abri quand tout le pays est en danger ? En réalité, NON ! Si votre pays n'est pas en sûreté, vous ne pouvez pas être en sûreté. Ainsi, au lieu de vous soucier de vous-même et de votre famille, vous devez vous soucier de chaque citoyen et de chaque famille de votre pays. C'est donc une relation mutuelle.

Sunday Times : Vous savez les préoccupations internationales concernant les armes chimiques de la Syrie. Est-il possible que votre armée les utilise en dernier ressort contre vos adversaires ? Des rapports suggèrent qu'ils ont été déplacés à plusieurs reprises. Si oui, pourquoi ? Partagez-vous la crainte internationale de les voir tomber aux mains des rebelles islamistes? Quel est le pire qui puisse arriver ?

Le président Assad : Tout ce qui a été mentionné dans les médias ou par les déclarations rhéthoriciennes de responsables politiques, sur les armes chimiques syriennes, relève de la spéculation. Nous n'avons jamais discuté, et nous ne discuterons jamais de nos armements avec qui que ce soit. Ce dont le monde devrait se soucier c'est des matières chimiques arrivées entre les mains des terroristes. Des séquences vidéos ont déjà été diffusées les montrant en train de tester des matières toxiques sur des animaux, et aussi en train de menacer le peuple syrien de mourir de cette façon ! Nous avons partagé ce matériel vidéo avec d'autres pays. C'est là-dessus que le monde devrait se concentrer au lieu de gaspiller ses efforts à créer des titres insaisissables sur les armes chimiques syriennes pour justifier n'importe quelle intervention en Syrie.

Sunday Times : Je sais que vous ne dites pas si ces armes sont en lieu sûr ou non. Il n'empêche que des craintes existent sur le fait que certains puissent se les approprier.

Le président Assad : C'est l'ambiguïté constructive. Aucun pays ne parle de ses capacités en la matière.

Sunday Times : Un autre sujet est aussi très commenté : Quels sont les rôles du Hezbollah, de l'Iran et de la Russie dans la guerre sur le terrain ? Savez-vous s'il y a des combattants du Hezbollah en Syrie et que font-ils ? Quelles armes vous sont livrées par vos alliés russes et iraniens, et quels sortes d'autres soutiens vous apportent-ils ?

Le président Assad : La position de la Russie est très claire en matière d'armement. Les russes fournissent à la Syrie des armes défensives, en conformité avec le droit international. Le Hezbollah, l'Iran et la Russie soutiennent la Syrie dans sa lutte contre le terrorisme. La Russie a été très constructive, l'Iran nous a très favorablement soutenus, et le rôle du Hezbollah est de défendre le Liban non la Syrie. Nous sommes un pays de 23 millions d'habitants avec une armée nationale forte et des forces de police. Nous n'avons pas besoin de combattants étrangers pour défendre notre pays. La question qui devrait nous être posée concernerait plutôt le rôle d' autres pays – le Qatar, la Turquie, l'Arabie saoudite, la France, le Royaume-Uni, et les Etats-Unis, – qui soutiennent le terrorisme en Syrie, directement ou indirectement, politiquement ou militairement.

Sunday Times : Monsieur le Président, permettez-moi de vous interroger sur votre propre position. Le ministre russe des Affaires étrangères, M. Lavrov, a récemment déclaré que Lakhdar Ibrahimi s'était plaint du peu de flexibilité de votre régime et que, même si vous semblez ne jamais dire NON, vous ne semblez jamais dire OUI. Pensez-vous qu'un règlement négocié soit possible tant que vous resterez président, question que beaucoup de gens se posent ?

Le président Assad : N'attendez pas d'un politicien qu'il vous réponde par un oui ou par un non dans un sens absolu, quoiqu'il ne s'agisse pas de questions à choix multiples où vous cochez la bonne ou la mauvaise réponse. En revanche vous pouvez attendre d'un politicien qu'il vous parle d'une vision. La nôtre est très claire. Nous avons proposé un plan. Celui qui veut travailler avec nous, peut le faire sur la base de ce plan. C'est très clair et il est inutile de perdre son temps. Ceci dit, votre question traduit « la personnalisation du problème syrien » prêchée par les médias occidentaux pour laisser croire que l'ensemble du conflit relève du président et de son propre avenir.

Si ce prétexte est correct, mon départ ferait cesser les combats ; ce qui est clairement absurde. Les précédents récents, en Libye, au Yémen et en Égypte en témoignent. Ce qui les motive est d'essayer de se soustraire à l'essentiel du problème : le dialogue, les réformes et la lutte contre le terrorisme. L'héritage de leurs interventions dans notre région a été le chaos, la destruction et le désastre. Par conséquent, comment peuvent-ils justifier une nouvelle intervention ? Ils ne le peuvent pas ! Alors, ils se concentrent sur le blâme du président, poussent à son départ, font douter de sa crédibilité, se demandent s'il vit dans une bulle, et prétendent qu'il est dans le déni de la réalité. C'est ainsi que le point de focalisation du conflit devient le président !

Sunday Times : Certains fonctionnaires étrangers ont appelé à vous juger pour crimes de guerre devant la Cour pénale internationale en tant que personne responsable, en dernier ressort, des exactions de l'armée? Craignez-vous les poursuites par cette Cour, ou d'autres poursuites futures lors d'éventuels procès en Syrie ?

Le président Assad : Chaque fois qu'un problème lié à l'ONU est soulevé, vous soulevez la question de sa crédibilité. Nous savons tous que ces vingt dernières années, et particulièrement suite à l'effondrement de l'Union soviétique, l'ONU et toutes les organisations qui en dépendent sont, sans exceptions, les victimes de l'hégémonie au lieu d'être des bastions de la justice. Elles sont devenues des outils politisés pour créer l'instabilité et attaquer des pays souverains, ce qui est contraire la Charte de l'ONU ! Maintenant, la question que nous devons nous poser : vont-ils juger les dirigeants US et britanniques pour avoir attaqué l'Irak en 2003 et avoir fauché plus d'un demi-million de vies sans parler des orphelins, des handicapés, des défigurés et malformés ? Vont-ils juger les US, les britanniques, les français et d'autres qui se sont rendus, l'année dernière, en Libye sans résolution de l'ONU pour faucher à nouveau des centaines de vies ? Ils ne vont pas le faire. La réponse est très claire.

Par ailleurs, savez-vous que l'envoi de mercenaires dans tout pays est un crime de guerre selon les principes de Nuremberg et conformément à la Charte de Londres de 1945. Vont-ils juger Erdogan devant ce même tribunal parce qu'il a envoyé des mercenaires en Syrie ? Vont-ils faire de même avec les Saoudiens et les Qataris ? Si nous avions les bonnes réponses à ces questions, nous pourrions continuer à parler des organisations pour la paix et de leur crédibilité.

Ma réponse à moi est très brève: lorsque des personnes défendent leur pays, ils ne tiennent compte de rien d'autre !

Sunday Times : Regarder en arrière est une chose merveilleuse, Monsieur le Président. Si vous pouviez remonter le temps deux ans en arrière, auriez-vous géré les choses différemment ? Croyez-vous qu'il y a des choses qui auraient pu ou auraient dû être faites d'une autre manière ? Quelles sont les erreurs commises par vos partisans que vous penseriez rectifier ?

Le président Assad : Vous pouvez poser cette question à un président qui serait le seul responsable du cours des événements. Dans notre cas, en Syrie, nous savons qu'interviennent de nombreux acteurs extérieurs. Partant de ce présent, vous devez juger rétrospectivement chacun des acteurs. Avec le recul, vous devez demander à M. Erdogan : auriez-vous envoyé des terroristes pour tuer des Syriens et leur auriez-vous procuré toutes sortes de soutien logistique ? Avec le recul, vous devez demander au Qatar et à l'Arabie saoudite : auriez-vous financé des terroristes, des réseaux d'Al-qaïda ou toute autre organisation terroriste pour tuer des Syriens ? Avec le même recul, vous devriez poser les mêmes questions aux fonctionnaires US et européens : auriez-vous offert un parapluie politique aux terroristes qui tuent des civils innocents en Syrie ?

En Syrie, nous avons pris deux décisions. La première consiste à lancer le dialogue, la seconde consiste à lutter contre le terrorisme. Si, avec le recul, vous demandez à n'importe quel Syrien : diriez-vous NON au dialogue et OUI au terrorisme? Je ne pense pas qu'une seule personne, saine d'esprit, serait d'accord. Donc, avec le recul, je pense que nous avons commencé par le dialogue et que nous allons continuer le dialogue. Avec le recul, nous avons dit que nous allons lutter contre le terrorisme et nous allons continuer à combattre le terrorisme.

Sunday Times : Avez-vous jamais pensé vivre en exil si les choses en arrivaient jusque là ? Et est-ce que vous quitteriez votre pays si cela devait augmenter  les chances de paix en Syrie ?

Le président Assad : Encore une fois, il ne s'agit pas du président. Je ne pense pas que n'importe quel patriote ou citoyen pourrait songer à vivre hors de son pays.

Sunday Times : Vous ne quitterez jamais ?

Le président Assad : Nul patriote ne peut songer à vivre hors de son pays. Je suis comme n'importe quel autre syrien patriote.

Sunday Times: Jusqu'à quel point avez-vous été secoué par la bombe qui a tué certains de vos plus hauts généraux l'été dernier, y compris votre beau-frère ?

Le président Assad : Vous avez mentionné mon beau-frère, mais ce n'est pas une affaire de famille. Lorsque des hauts fonctionnaires sont assassinés c'est une affaire nationale ! Un tel crime, vous rend plus déterminé à combattre le terrorisme. Cela ne concerne pas ce que vous ressentez, mais plutôt ce que vous devez faire. Nous sommes plus déterminés dans notre lutte contre le terrorisme.

Sunday Times: Pour finir, Monsieur le Président, puis-je vous interroger sur ma collègue, Marie Colvin, qui a été tuée lors du bombardement par l'opposition d'un centre de médias de Bab Amr, le 22 Février de l'année dernière. A-t-elle été ciblée, comme certains l'ont suggéré, parce qu'elle avait condamné les destructions sur les télévisions américaines et britanniques? Ou bien a-t-elle simplement manqué de chance? Avez-vous entendu parler de sa mort à l'époque et, si oui, quelle a été votre réaction ?

Le président Assad : Bien sûr, j'en ai entendu parler par les médias. Quand un journaliste se rend dans les zones de conflit, comme vous le faites en ce moment même, pour couvrir un événement et le transmettre au monde, je pense que c'est un travail très courageux. Toute personne honnête, qu'il s'agisse de responsables ou de membres du gouvernement, devrait soutenir les efforts des journalistes car cela aidera à faire la lumière sur ce qui se passe sur le terrain et démontera la propagande là où elle existe. Malheureusement, dans la plupart des conflits un journaliste a payé le prix ultime. C'est toujours triste quand un journaliste est tué parce que les journalistes ne sont partie prenante et ne font même pas partie du problème. Ils cherchent juste à couvrir l'événement.

Il y a une guerre médiatique contre la Syrie pour empêcher que la vérité ne soit connue du monde extérieur. Quatorze journalistes syriens ont aussi été tués depuis le début de la crise, et tous ne sont pas tombés sur le champ de bataille. Certains ont été ciblés à leur domicile en dehors des heures de travail, kidnappés, torturés, puis assassinés. D'autres sont toujours portés disparus. Plusieurs bâtiments de la télévision syrienne ont été attaqués par les terroristes et leurs bombes. Et, actuellement les chaines de télévision syriennes sont interdites de diffusion par les systèmes satellitaires européens.

On sait maintenant comment les rebelles ont utilisé les journalistes dans leur propre intérêt. Il ya eu le cas du journaliste britannique qui a réussi à s'échapper…

Sunday Times : Alex Thompson ?

Le président Assad : Oui. Il a été dirigé vers un piège mortel par les terroristes dans le but d'accuser l'armée syrienne de sa mort. C'est pourquoi il est important d'entrer légalement dans le pays, d'avoir un visa. Ce ne fut pas le cas pour Marie Colvin. Nous ne savons pas pourquoi et ce n'est toujours pas clair. Si vous entrez illégalement, vous ne pouvez pas attendre de l'État qu'il soit responsable.

Contrairement à la croyance populaire, depuis le début de la crise des centaines de journalistes de partout dans le monde, y compris vous, ont obtenu un visa d'entrée en Syrie et ont rendu compte librement, à partir de la Syrie, sans interférences dans leur travail et sans obstacles contre leurs missions.

Sunday Times : Je vous remercie.

Le président Assad : Merci à vous.

 

Sunday Times, Interview publiée le 03/03/2013

Texte original : Sana-syria

http://www.sana-syria.com/eng/21/2013/03/03/470326.htm

http://www.globalresearch.ca/syria-president-al-assads-interview-with-the-sunday-times/5325083

Texte traduit de l'anglais  par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca

 

Notes 

[1] Syrie : Qui est dans le déni de la réalité ?

http://www.mondialisation.ca/le-president-al-assad-lance-une-solution-politique-de-la-crise-en-syrie/5318025

Extrait de l'interview du président Bachar Al Assad avec le SUNDAY TIMES

http://www.youtube.com/watch?v=NVJFJzaTZc0

La Chine veut une croissance tirée par la consommation

Le Premier ministre chinois Wen Jiabao a exposé mardi une stratégie pour soutenir la croissance et réduire les inégalités en Chine qui place le consommateur au centre des priorités.

Le Premier ministre chinois s'exprimait à l'ouverture de la session annuelle du parlement (Assemblée nationale populaire), après laquelle il cèdera son poste de chef du gouvernement à son successeur désigné, Li Keqiang. La réunion, qui devrait s'achever le 17 mars, entérinera l'arrivée à la présidence de Xi Jinping, en remplacement de Hu Jintao.

"Nous devons indéfectiblement faire de l'augmentation de la demande intérieure notre stratégie de développement économique à long terme", a déclaré Wen Jiabao. "Nous devons augmenter la capacité des gens à consommer, maintenir la stabilité de leurs attentes de consommation, augmenter leur envie de consommer, améliorer leur environnement de consommation et tirer davantage la croissance grâce à la consommation."

Wen Jiabao a annoncé que le gouvernement s'était fixé un objectif de 7,5% de croissance pour 2013 avec un déficit budgétaire de 1.200 milliards de yuans (148 milliards d'euros), soit environ 2% du produit intérieur brut, contre 850 milliards de yuans de déficit en 2012 (1,6% du PIB).

Le rééquilibrage d'une croissance alimentée par l'investissement et l'exportation est une priorité qu'a régulièrement affichée Wen Jiabao depuis son arrivée au pouvoir il y a dix ans.

L'inquiétude est que davantage d'investissements, qui représentent déjà 50% du PIB, un niveau jugé préoccupant par le Fonds monétaire international, ne viennent qu'ajouter à l'inefficacité du secteur public et nuisent à l'environnement.


VASTE PLAN D'URBANISATION

Dans son discours, Wen Jiabao a plusieurs fois insisté sur les dommages écologiques provoqués par une expansion économique chinoise reposant avant tout sur l'industrie.

"L'état de l'environnement affecte le niveau de bien-être de la population et également la postérité et l'avenir de notre nation", a-t-il déclaré.

Alors que la pollution est devenue un sujet majeur de débat dans l'opinion, la Commission du développement et de la réforme prévoit dans un document de travail que la Chine va se lancer activement dans le développement de sources d'énergie propres, avec l'objectif de porter à 42,24 millions de kilowatts en 2013 la capacité totale d'électricité fournie par l'énergie hydroélectrique, le nucléaire et l'éolien.

L'un des chantiers prioritaires des prochaines années est la réduction du fossé entre riches urbains et pauvres des campagnes. Un vaste plan d'urbanisation de 40.000 milliards de yuans (4.930 milliards d'euros) sur dix ans est censé attirer 400 millions de ruraux vers les villes, sur une population totale de 1,3 milliard d'habitants.

Le gouvernement espère que 60% de la population résidera dans les villes d'ici 2020, contre 50% actuellement, obligeant à la construction d'habitations, de routes, d'hôpitaux ou d'écoles pour cette nouvelle population.

Le fait que près de 158 millions d'ouvriers migrants soient privés d'accès aux services publics de base est un frein majeur à l'expansion de la demande intérieure.

Wen a préconisé une réforme du rigide système du hukou, qui sert à enregistrer les résidents dans les villes mais freinerait l'urbanisation de la population.


BUDGET MILITAIRE EN HAUSSE DE 10,7%

Malgré sa deuxième place au classement des économies mondiales après trois décennies de croissance effrénée, la Chine reste un pays fortement inégalitaire, où 13% de la population vit avec moins de 1,25 dollar par jour, selon le Programme des Nations unies pour le développement.

Le pays compte 122 milliardaires en dollars, selon le magazine américain Forbes, mais 317 selon son concurrent Hurunb report, ce qui représenterait un cinquième des milliardaires du globe.

Le relèvement des dépenses publiques, ajouté au lancement de grands projets d'infrastructures au cours du second semestre 2012 pour un montant total d'environ 115 milliards d'euros, a permis de limiter l'an dernier le ralentissement de la croissance chinoise à 7,8%, son plus bas niveau en treize ans, mais au-dessus de l'objectif officiel de 7,5% fixé en mars 2012.

Les investissements ferroviaires sont un élément essentiel de soutien à la croissance et le pays devrait ouvrir cette année 5.200 km de nouvelles voies, a précisé la Commission du développement national et de la réforme dans son document.

Parmi les grands postes de dépense en 2013, l'armée figure en bonne place avec une hausse de 10,7% du budget de la Défense, à 740,6 milliards de yuans (91 milliards d'euros). Cela fait maintenant près de vingt ans que le budget chinois de la Défense dépasse les 10% de croissance annuelle.

"Nous devons accélérer la modernisation de la défense nationale et des forces armées afin de renforcer les capacités militaires et de défense de la Chine", a souligné Wen Jiabao dans son discours. "Nous devons résolument assurer la souveraineté, la sécurité et l'intégrité territoriale de la Chine et garantir son développement pacifique", a-t-il dit.

L'an dernier, le budget militaire s'était accru de 11,2%.

Le ministère de la Sécurité intérieure verra son budget augmenter de 8,7%, à 769,1 milliards et sera supérieur à celui de la Défense pour la troisième année consécutive.


Par Kevin Yao et Aileen Wang, Jean-Stéphane Brosse pour le service français, publié le 05/03/2013 sur http://tempsreel.nouvelobs.com

Une nouvelle génération prend les commandes de la Chine

Le nouvel exécutif chinois sera désigné à l'issue de l'Assemblée nationale populaire qui s'ouvre aujourd'hui.Pour redonner un coup de fouet à la croissance du pays, le nouveau pouvoir devra dynamiser sa consommation intérieure,

Dix ans après avoir pris ses fonctions en tant que Premier ministre chinois, Wen Jiabao s'apprête à quitter la scène en prononçant, aujourd'hui, son dernier grand discours, à l'occasion de l'ouverture de l'assemblée nationale populaire. Un événement annuel que suivra de très près la planète entière, car c'est au cours de ces deux semaines que sera annoncée la composition du nouvel exécutif chinois.

 

De cette équipe, on connaît déjà les deux têtes d'affiche, appelées à tenir les rênes du pays pendant dix ans. Conformément à l'usage chinois, c'est en effet à l'automne dernier, lors d'un congrès du PC sous haute tension, qu'ont été nommés les sept membres du Comité permanent du bureau politique. Le numéro un de cette liste, Xi Jinping, doit donc, sous peu, succéder à Hu Jintao au poste de président de la République, tandis que le numéro deux, Li Keqiang, remplacera Wen Jiabao à la tête du gouvernement.

La pression qui repose sur ces deux hommes, et sur l'ensemble de la nouvelle administration chinoise, est immense. Après trois décennies de croissance fulgurante, l'équation chinoise se complique. Même si l'atterrissage brutal que redoutaient certains analystes a pour l'instant été évité, grâce à un rebond économique en fin d'année 2012, l'impératif des réformes ne fait plus de doutes. Pour redonner un coup de fouet à sa croissance, la Chine doit dynamiser sa consommation intérieure, un voeu exprimé par Pékin depuis des années mais qui ne s'est toujours pas matérialisé. Au contraire, la part de celle-ci dans le PIB a eu tendance à diminuer depuis dix ans.

Un ton neuf et proche du peuple

Si les mots n'ont pas été suivis d'actes, c'est que la plupart des mesures à mettre en oeuvre sont sensibles. Elles impliquent, d'une part, de libéraliser l'économie, ce qui nécessite de s'attaquer à une somme d'intérêts particuliers qui se confondent bien souvent avec le pouvoir politique. Et d'autre part, il faut faire disparaître plusieurs injustices ancrées dans le système. L'une des principales est le mécanisme de dédommagement des populations rurales lorsque celles-ci doivent céder leurs terres à des promoteurs. Cause de la majorité des troubles sociaux, ces indemnisations souvent dérisoires incarnent les dérives d'une organisation politique peu conforme à un Etat de droit et dépourvue de contre-pouvoirs. A la barre en tant que patron du PC, Xi Jinping a eu le temps, en moins de quatre mois, d'insuffler une dose d'espoir sans précédent face à ce qui s'annonce comme un périlleux casse-tête. Avec un ton neuf et proche du peuple, il a fait la preuve, dans son discours, de son souhait de s'attaquer à tous les sujets sensibles. Li Keqiang, lui, a martelé son projet pour le pays, centré autour de l'urbanisation. Il semble donc y avoir une volonté et un cap. L'assemblée qui s'ouvre aujourd'hui doit conférer au nouvel exécutif chinois les moyens de passer aux actes. 

Par Gabriel Gresillon le 05/03/2013 sur www.lesechos.fr

lundi 4 mars 2013

Kerry- Lavrov : Sykes Picot du XXIe siècle

«La vie humaine est une valeur qui n'a pas de prix, tout ce qu'on appelle réformes, droits de l'homme et démocratie ne valent pas le sang d'un seul homme innocent»

Patriarche Raï

Il semble que le drame du peuple syrien connaîtra son épilogue à en croire les rumeurs supputations et autres analyses. De quoi s'agit-il? Ni plus ni moins d'un nouveau partage du monde entre les grands. Pour l'histoire récente nous nous souvenons de Yalta, du «rideau de fer» entre un Occident dit «libre» et un Empire du «mal» pour reprendre l'expression de Ronald Reagan. Une trentaine d'années plus tôt, il y eut un partage du monde entre les deux «puissances» de l'époque, la perfide Albion (l'Angleterre) et le Coq gaulois (la France) qui guerroyaient tantôt de concert, notamment pour démolir la Chine, tantôt l'un contre l'autre par pays faibles interposés. Les Etats-Unis n'avaient pas encore atteint le sommet de la puissance et la Russie et la Chine étaient engluées dans leur contradiction interne.

Les accords Sykes –Picot

Nous sommes en 1916, le conflit a deux ans, l'Empire ottoman «l'homme malade de l'Europe» est du côté allemand. C'est l'occasion pour les deux acolytes anglais et français de donner le coup de grâce à l'empire vermoulu et qui n'a jamais connu de repos depuis plus d'un siècle, constamment attaqué par ces deux puissances qui, au nom de la protection des minorités (Guerres du Levant), dépeçaient méthodiquement l'empire. Les accords Sykes-Picot sont justement des accords secrets signés le 16 mai 1916, entre la France et la Grande-Bretagne (avec l'aval des Russes et des Italiens), prévoyant le partage du Moyen-Orient à la fin de la guerre (espace compris entre la mer Noire, la mer Méditerranée, la mer Rouge, l'océan Indien et la mer Caspienne) en zones d'influence entre ces puissances, dans le but de contrer des revendications ottomanes. (…) Aux États-Unis, le président Woodrow Wilson, -scandalisé par l'accord- tentant de mettre en avant l'argument de l'autodétermination des peuples, en vain. Les Français et les Britanniques se mettent d'accord sur les frontières à la conférence de San-Remo, en avril 1920.

Obama et Poutine et le partage du Proche-Orient

Dans un article publié le 26 janvier dernier en Russie, Thierry Meyssan expose le nouveau plan de partage du Proche-Orient sur lequel travaillent la Maison-Blanche et le Kremlin. L'auteur y révèle les principales données de la négociation en cours sans préjuger d'un accord définitif, ni de sa mise en oeuvre. L'intérêt de l'article est qu'il permet de comprendre les positions ambigües de Washington qui pousse ses alliés dans une impasse de manière à pouvoir leur imposer prochainement une nouvelle donne dont ils seront exclus. «Le président Obama écrit Thierry Meyssan, s'apprête à changer complètement de stratégie internationale, malgré l'opposition que son projet a suscité dans sa propre administration. Le constat est simple. Les États-Unis sont en passe de devenir indépendants au plan énergétique grâce à l'exploitation rapide des gaz de schiste et du pétrole des sables bitumineux. Par conséquent, la doctrine Carter (1980) selon laquelle la sécurisation de l'accès au pétrole du Golfe est un impératif de sécurité nationale, est morte. De même d'ailleurs que l'Accord du Quincy (1945) selon lequel Washington s'engage à protéger la dynastie des Séoud si ceux-ci leur garantissent l'accès au pétrole de la péninsule arabique. (…) D'autre part, tout doit être fait pour empêcher une alliance militaire sino-russe ». (1)

 « Il convient donc, poursuit Thierry Meyssan, d'offrir des débouchés à la Russie qui la détournent de l'Extrême-Orient. Enfin, Washington étouffe de sa relation trop étroite avec Israël. Celle-ci est extrêmement onéreuse, injustifiable au plan international, et dresse contre les États-Unis l'ensemble des populations musulmanes. (…) C'est trois éléments ont conduit Barack Obama et ses conseillers à proposer un pacte à Vladimir Poutine: Washington, qui reconnaît implicitement avoir échoué en Syrie, est prêt à laisser la Russie s'installer au Proche-Orient sans contrepartie, et à partager avec elle le contrôle de cette région». C'est dans cet état d'esprit qu'a été rédigé par Kofi Annan le Communiqué de Genève du 30 juin 2012. (…) Ses différentes oppositions internes étant pulvérisées ou paralysées, Barack Obama a annoncé un renouvellement en profondeur de son équipe. D'abord, John Kerry au département d'État. L'homme est partisan déclaré d'une collaboration avec Moscou sur les sujets d'intérêt commun. Il est aussi un ami personnel de Bachar el Assad. Puis, Chuck Hagel au département de la Défense. C'est un des piliers de l'Otan, mais un réaliste. Avec son ami Kerry, Hagel avait organisé en 2008 une tentative de négociation pour la restitution par Israël du plateau du Golan à la Syrie.» (1)

«Ce que l'administration Obama envisage, c'est un remodelage du Proche-Orient pour le XXIe siècle, sous l'égide des USA et de la Russie. (…) L'originalité du plan, c'est que la force des Nations unies serait principalement composée par des soldats de l'Organisation du Traité de sécurité collective (Otsc). Le président Bachar el Assad resterait au pouvoir. Il négocierait rapidement une Charte nationale avec des leaders de l'opposition non-armée sélectionnés avec l'approbation de Moscou et Washington, et ferait valider cette charte par référendum sous contrôle des observateurs. Ce coup de théâtre a été préparé de longue date par les généraux Hassan Tourekmani (assassiné le 18 juillet 2012) et Nikolay Bordyuzha. Une position commune des ministres des Affaires étrangères de l'Otsc a été conclue le 28 septembre et un Protocole a été signé entre le département onusien de maintien de la paix et l'Otsc. (…) Une fois la Syrie stabilisée, une conférence internationale devrait se tenir à Moscou pour une paix globale entre Israël et ses voisins.» (1)

«Côté US, on souhaiterait prolonger le remodelage jusqu'à sacrifier l'Arabie Saoudite devenue inutile. Le pays serait divisé en trois, tandis que certaines provinces seraient rattachées, soit à la fédération jordano-palestinienne, soit à l'Irak chiite, conformément à un vieux plan du Pentagone (´´Taking Saudi out of Arabia´´, 10 juillet 2002). Cette option permettrait à Washington de laisser un vaste champ d'influence à Moscou sans avoir à sacrifier une partie de sa propre influence. (…) Cet accord politico-militaire se double d'un accord économico-énergétique, le véritable enjeu de la guerre contre la Syrie étant, pour la plupart des protagonistes, la conquête de ses réserves de gaz. De vastes gisements ont en effet été découverts au Sud de la Méditerranée et en Syrie (…) Le cadeau de la nouvelle administration Obama à Vladimir Poutine se double de plusieurs calculs. Non seulement détourner la Russie de l'Extrême-Orient, mais aussi l'utiliser pour neutraliser Israël.(…) Installées en Syrie, les troupes russes dissuaderaient les Israéliens d'attaquer les Arabes et les Arabes d'attaquer Israël. Par conséquent, les États-Unis ne seraient plus obligés de dépenser des sommes phénoménales pour la sécurité de la colonie juive ».

«La nouvelle donne  conclut l'auteur, obligerait les États-Unis à reconnaître enfin le rôle régional de l'Iran. Cependant, Washington souhaiterait obtenir des garanties que Téhéran se retire d'Amérique latine où il a tissé de nombreux liens, notamment avec le Venezuela. (…) Ce projet a des perdants. D'abord, la France et le Royaume-Uni dont l'influence s'efface. Puis Israël, privé de son influence aux États-Unis et ramené à sa juste proportion de petit État. Enfin L'Irak, démantelé. Et peut-être l'Arabie Saoudite qui se débat depuis quelques semaines pour se réconcilier avec les uns et les autres afin d'échapper au sort qui lui est promis. Il a aussi ses gagnants. D'abord, Bachar el Assad, hier traité de criminel contre l'humanité par les Occidentaux, et demain glorifié comme vainqueur des islamistes. Et surtout Vladimir Poutine qui, par sa ténacité tout au long du conflit, parvient à faire sortir la Russie de son «containment», à lui rouvrir la Méditerranée et le Proche-Orient et à faire reconnaître sa prééminence sur le marché du gaz.» (1)

Dans le même ordre il faut se souvenir comme l'écrit Laïd Seraghni, que: «Pour Catherine II, Damas détient «la clé de la maison Russie» et pour Poutine «elle est la clé de la nouvelle ère.» Les événements qui se déroulent actuellement en Syrie ne sont en aucun cas liés à la question de démocratisation de la société ni pour plus de liberté pour les Syriens. Il s'agit d'un ordre mondial que cherchent les Etats-Unis à imposer avec ses vassaux occidentaux prédateurs à un autre monde qui, à leur tête la Russie, réclame plus de participation dans la gestion des affaires internationales, desquelles elle a été exclue depuis des décennies. Depuis le début des contestations en Syrie, la Russie, appuyée notamment par la Chine et l'Iran, a décidé de faire échouer toutes les tentatives d'un changement de régime car elle était persuadée que si le plan des Occidentaux réussissait, elle serait confinée dans un rôle de second plan et sera menacée dans son intégrité territoriale. (…) Les actions d'encerclement de la Russie seront relancées. Cette stratégie, en matière de géopolitique, est fondée sur la ligne Brezinski qui prévoyait la domination de l'Union soviétique en deux étapes (…) Poutine dans le prolongement de la ligne de Catherine II, considère Damas comme étant le point de départ du nouvel ordre mondial. Si cette capitale tombait, la Russie perdrait définitivement son rêve de retrouver son statut de grande puissance dans le monde du temps de la Guerre froide ».(2)

Nous sommes loin de l'époque guerrière de Bush. Avec Obama c'est le «soft power» en action.  A l'époque Bush, c'était l'affrontement à outrance. Marco d'Eramo nous rappelle un Rapport de 2006: «Pour la Maison-Blanche, la planète de l'an 2006 se domine avec les mêmes oeillères et la même agressivité préventive qu'il y a quatre ans. C'est ce qu'on apprend de la lecture des 48 pages denses qui composent le nouveau document sur la National Security Strategy (..) Dans le paragraphe sur l'Irak, les stratèges admettent qu'il n'y avait pas d'armes de destruction de masse. Mais, disent-ils, presque textuellement: rien à foutre, (…). La nouveauté la plus préoccupante du document se trouve cependant ailleurs, c'est-à-dire dans la nouvelle dureté manifestée à l'égard de la Russie et de la Chine à qui le rapport dispense des conseils assez menaçants, voire de véritables menaces». (3)

Et la Chine? Et Israël?

Thierry Messan nous dit que quand les Américains auront les coudées franches en Syrie, ils «s'occuperont «de la Chine». Le temps est venu d'un retrait massif qui permettra de transférer les GI's vers l'Extrême-Orient afin de contenir l'influence chinoise».

Une analyse sur le site Oulala permet d'expliquer pourquoi la Chine modernise son armée étant donné qu'au stade impérialiste de développement économique mondial, tous les marchés, toutes les zones de ressources naturelles et toutes les aires d'exploitation de la main-d'oeuvre sont déjà accaparés par l'une ou l'autre des puissances impérialistes. La Chine n'a pour alternative que de mener des guerres commerciales, financières et monétaires de conquête afin de repartager les zones d'influence et d'exploitation hégémoniques. Mais cette retenue et cette diplomatie ne doivent pas faire mirage, la Chine impérialiste commence à s'armer et quand les États-Unis deviendront trop menaçants – eux qui viennent de déplacer leurs flottes de guerre vers le Pacifique, l'Empire du Milieu sera prêt à riposter».(4)

 «Les États-Unis considère Thierry Meyssan  Meyssan considèrent qu'il n'est pas possible de négocier une paix séparée entre Israël et la Syrie, car les Syriens exigent d'abord une solution pour la Palestine au nom de l'arabisme. (…) Par conséquent, toute négociation doit être globale sur le modèle de la conférence de Madrid (1991). Dans cette hypothèse, Israël se retirerait autant que faire se peut sur ses frontières de 1967. Les Territoires palestiniens et la Jordanie fusionneraient pour former l'État palestinien définitif. Son gouvernement serait confié aux Frères musulmans, ce qui rendrait la solution acceptable aux yeux des gouvernements arabes actuels. Puis, le plateau du Golan serait restitué aux Syriens en échange de l'abandon du lac de Tibériade, selon le schéma envisagé jadis aux négociations de Shepherdstown (1999). La Syrie deviendrait garante du respect des traités par la partie jordano-palestinienne.» (1)

Reste Israël qui ne va pas se laisser faire. Nous le voyons déjà comment elle tente de torpiller la candidature de Hegel au secrétariat à la Défense, coupable selon le Sénat de ne pas avoir de feeling pour Israël. Il a fallu toute sa pugnacité pour qu'en définitive le Sénat approuve sa candidature, sans qu'il n'ait rien renié- apparemment- de ses principes

La Syrie est prête au dialogue avec les groupes armés  La conséquence du deal américano-russe se fait jour. En effet, l'espoir peut-il être permis à la faveur des déclarations faites hier à Moscou par le ministre syrien des Affaires étrangères, Wali El-Mouallem, qui, lors d'une rencontre avec son homologue russe Sergueï Lavrov, a déclaré que le régime du président syrien Bachar el Assad est prêt à dialoguer avec toutes les parties, y compris les groupes armés.: «Nous sommes prêts au dialogue avec tous ceux qui veulent le dialogue, y compris les groupes armés», a déclaré M.Mouallem au début de ses entretiens avec M.Lavrov. Le ministre russe a, lui, déclaré qu'un règlement politique inter-syrien était la seule solution «acceptable» et que la poursuite de l'effusion de sang pourrait entraîner «l'effondrement» de l'État.

Le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, a rencontré mardi dernier à Berlin son homologue russe Sergueï Lavrov. Ces tractations diplomatiques en Europe se déroulent au moment où le régime du président Bachar el Assad se dit prêt, pour la première fois, à dialoguer avec les rebelles armés. MM.Kerry et Lavrov se connaissent du temps où le nouveau secrétaire d'Etat présidait la commission des Affaires étrangères du Sénat. (…) Un responsable du département d'Etat a ainsi expliqué aux journalistes accompagnant M.Kerry que «la Russie peut jouer un rôle crucial pour convaincre le régime syrien (…) de la nécessité d'une transition politique.»(5)

On comprend aisément la politique américaine  concernant le géant russe grande capacité militaire , faible développement, le contraire de la Chine : grande capacité économique faible capacité militaire.. La puissance de frappe et les richesses énergétiques de la Russie sont une réalité: les premières réserves de gaz naturel et de pétrole, mais aussi tous les minerais Contrairement à la Chine très développée, mais pauvre en ressources. Du point de vue nucléaire, la Chine est un nain. Poutine est désormais l'homme le plus influent de la planète (il n'a pas cédé sur la Syrie).

Nous assistons certainement à une réorganisation du monde. Les Français et les Anglais sont cantonnés dans le rôle de supplétifs. Nous sommes loin de la politique arabe de De Gaulle ou même du tandem Chirac-De Villepin qui ont dit non à l'Empire à propos de l'invasion de l'Irak. Les Allemands, qui ont toujours deux fers au feu, vont basculer du côté russe (continuation de la politique de Schröder). Les Français continueront à guerroyer en vain, ils auront leur Afghanistan au Mali et comme le dit un proverbe arabe, «ils mangeront leurs dents».

Par Chems Eddine Chitour sur www.mondialisation.ca le 01/03/2013

 

1 Thierry Meyssan http://www.alterinfo.net/  Obama-et-Poutine-vont-ils-se-partager-le-Proche-Orient_a87127.html23 Février 2013

2. http://www.alterinfo.net/Pour-Laïd Seragni Catherine-II-damas-detient-la-cle-de-la-maison-Russie-et-pour-Poutine-elle-est-la-cle-d-une-nouvelle-ere_a87034.html  21 Février 2013

3. http://www.mondialisation.ca/la-russie-et-de-la-chine-sur-la-liste-des-usa/2181

4. C.E.Chitour http://www.mondialisation.ca/etats-unis-chine-russie-le-partage-du-monde/29482

5. Syrie: Kerry rencontre Lavrov à Berlin pour une issue au conflit AFP 26.02.2013

vendredi 1 mars 2013

Obama et Poutine vont-ils se partager le Proche-Orient ?

Dans un article publié le 26 janvier dernier en Russie, Thierry Meyssan expose le nouveau plan de partage du Proche-Orient sur lequel travaillent la Maison-Blanche et le Kremlin. L'auteur y révèle les principales données de la négociation en cours sans préjuger d'un accord définitif, ni de sa mise en œuvre. L'intérêt de l'article est qu'il permet de comprendre les positions ambigües de Washington qui pousse ses alliés dans une impasse de manière à pouvoir leur imposer prochainement une nouvelle donne dont ils seront exclus.

Le président Obama s'apprête à changer complètement de stratégie internationale, malgré l'opposition que son projet a suscité dans sa propre administration.

Le constat est simple. Les États-Unis sont en passe de devenir indépendants au plan énergétique grâce à l'exploitation rapide des gaz de schistes et du pétrole des sables bitumineux. Par conséquent la doctrine Carter (1980) selon laquelle la sécurisation de l'accès au pétrole du Golfe est un impératif de sécurité nationale est morte. De même d'ailleurs que l'Accord du Quincy (1945) selon lequel Washington s'engage à protéger la dynastie des Séoud si ceux-ci leur garantissent l'accès au pétrole de la péninsule arabique. Le temps est venu d'un retrait massif qui permettra de transférer les GI's vers l'Extrême-Orient afin de contenir l'influence chinoise.

D'autre part, tout doit être fait pour empêcher une alliance militaire sino-russe. Il convient donc d'offrir des débouchés à la Russie qui la détournent de l'Extrême-Orient.

Enfin, Washington étouffe de sa relation trop étroite avec Israël. Celle-ci est extrêmement onéreuse, injustifiable au plan international, et dresse contre les États-Unis l'ensemble des populations musulmanes. En outre, il convient de sanctionner clairement Tel-Aviv qui s'est ingéré de manière ahurissante dans la campagne électorale présidentielle US, qui plus est en misant contre le candidat qui a gagné.

C'est trois éléments ont conduit Barack Obama et ses conseillers à proposer un pacte à Vladimir Poutine : Washington, qui reconnaît implicitement avoir échoué en Syrie, est prêt à laisser la Russie s'installer au Proche-Orient sans contrepartie, et à partager avec elle le contrôle de cette région.

C'est dans cet état d'esprit qu'a été rédigé par Kofi Annan le Communiqué de Genève du 30 juin 2012. À l'époque, il s'agissait juste de trouver une issue à la question syrienne. Mais cet accord a été immédiatement saboté par des éléments internes de l'administration Obama. Ils ont laissé fuiter à la presse européenne divers éléments sur la guerre secrète en Syrie, y compris l'existence d'un Presidential Executive Order enjoignant la CIA de déployer ses hommes et des mercenaires sur le terrain. Pris en tenaille, Kofi Annan avait démissionné de ses fonctions de médiateur. De son côté, la Maison-Blanche avait fait profil bas pour ne pas exposer ses divisions en pleine campagne pour la réélection de Barack Obama.

Dans l'ombre trois groupes s'opposaient au communiqué de Genève :
• Les agents impliqués dans la guerre secrète ;
• Les unités militaires chargées de contrer la Russie
• Les relais d'Israël.

En 1916, le Royaume-Uni et la France se partageaient le Proche-Orient (accords Sykes-Picot). Presque un siècle plus tard, les Etats-Unis et la Russie discutent d'un nouveau plan de partage qui leur permettrait d'évincer à leur profit l'influence franco-britannique.

Au lendemain de son élection, Barack Obama a débuté la grande purge. La première victime fut le général David Petraeus, concepteur de la guerre secrète en Syrie. Tombé dans un piège sexuel tendu par une agente du Renseignement militaire, le directeur de la CIA fut contraint à la démission. Puis, une douzaine de hauts gradés furent mis sous enquête pour corruption. Parmi eux, le suprême commandeur de l'OTAN (amiral James G. Stravidis) et son successeur désigné (le général John R. Allen), ainsi que le commandant de la Missile Défense Agency —c'est-à-dire du « Bouclier anti-missiles »— ¬(général Patrick J. O'Reilly). Enfin, Susan Rice et Hillary Clinton faisaient l'objet de vives attaques pour avoir caché au Congrès des éléments sur la mort de l'ambassadeur Chris Stevens, assassiné à Benghazi par un groupe islamiste probablement commandité par le Mossad.

Ses différentes oppositions internes étant pulvérisées ou paralysées, Barack Obama a annoncé un renouvellement en profondeur de son équipe. D'abord, John Kerry au département d'État. L'homme est partisan déclaré d'une collaboration avec Moscou sur les sujets d'intérêt commun. Il est aussi un ami personnel de Bachar el-Assad. Puis, Chuck Hagel au département de la Défense. C'est un des piliers de l'OTAN, mais un réaliste. Il a toujours dénoncé la mégalomanie des néo-conservateurs et leur rêve d'impérialisme global. C'est un nostalgique de la Guerre froide, ce temps béni où Washington et Moscou se partageaient le monde à moindres frais. Avec son ami Kerry, Hagel avait organisé en 2008 une tentative de négociation pour la restitution par Israël du plateau du Golan à la Syrie. Enfin John Brennan à la CIA. Ce tueur de sang-froid est convaincu que la première faiblesse des États-Unis, c'est d'avoir créé et développé le jihadisme international. Son obsession est d'éliminer le salafisme et l'Arabie saoudite, ce qui en définitive soulagerait la Russie au Nord-Caucasse.

Simultanément, la Maison-Blanche a poursuivi ses tractations avec le Kremlin. Ce qui devait être une simple solution pour la Syrie est devenu un projet bien plus vaste de réorganisation et de partage du Proche-Orient.

On se souvient qu'en 1916, à l'issue de 8 mois de négociations, le Royaume-Uni et la France se partagèrent en secret le Proche-Orient (Accords Sykes-Picot). Le contenu de ces accords avait été révélé au monde par les Bolcheviks dès leur arrivée au pouvoir. Il s'est poursuivi durant près d'un siècle. Ce que l'administration Obama envisage, c'est un remodelage du Proche-Orient pour le XXIe siècle, sous l'égide des USA et de la Russie.

Aux États-Unis, bien qu'Obama se succède à lui-même, il ne peut dans la période actuelle qu'expédier les affaires courantes. Il ne reprendra ses attributions complètes que lors de sa prestation de serment, le 21 janvier. Dans les jours qui suivront, le Sénat auditionnera Hillary Clinton sur le mystère de l'assassinat de l'ambassadeur en Libye (23 janvier), puis il auditionnera John Kerry pour confirmer sa nomination (24 janvier). Immédiatement après, les 5 membres permanents du Conseil de sécurité se réuniront à New York pour examiner les propositions Lavrov-Burns sur la Syrie.

Celles-ci prévoient la condamnation de toute ingérence extérieure, le déploiement d'observateurs et d'une force de paix des Nations Unies, un appel aux différents protagonistes pour qu'ils forment un gouvernement d'union nationale et planifient des élections. La France devrait s'y opposer sans pour autant menacer d'utiliser son veto contre son suzerain US.

L'originalité du plan, c'est que la force des Nations Unies serait principalement composée par des soldats de l'Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC). Le président Bachar el-Assad resterait au pouvoir. Il négocierait rapidement une Charte nationale avec des leaders de l'opposition non-armée sélectionnés avec l'approbation de Moscou et Washington, et ferait valider cette charte par référendum sous contrôle des observateurs.

Ce coup de théâtre a été préparé de longue date par les généraux Hassan Tourekmani (assassiné le 18 juillet 2012) et Nikolay Bordyuzha. Une position commune des ministres des Affaires étrangères de l'OTSC a été conclue le 28 septembre et un Protocole a été signé entre le département onusien de maintien de la paix et l'OTSC. Celle-ci dispose maintenant des mêmes prérogatives que l'OTAN. Des manœuvres communes ONU/OTSC de simulation ont été organisées au Kazakhstan sous le titre « Fraternité inviolable » (8 au 17 octobre). Enfin, un plan de déploiement de « chapkas bleues » a été discuté au sein du Comité militaire de l'ONU (8 décembre).

Une fois la Syrie stabilisée, une conférence internationale devrait se tenir à Moscou pour une paix globale entre Israël et ses voisins. Les États-Unis considèrent qu'il n'est pas possible de négocier une paix séparée entre Israël et la Syrie, car les Syriens exigent d'abord une solution pour la Palestine au nom de l'arabisme. Mais il n'est pas possible non plus de négocier une paix avec les Palestiniens, car ceux-ci sont extrêmement divisés, à moins que la Syrie ne soit chargée de les contraindre à respecter un accord majoritaire. Par conséquent, toute négociation doit être globale sur le modèle de la conférence de Madrid (1991). Dans cette hypothèse, Israël se retirerait autant que faire se peut sur ses frontières de 1967. Les Territoires palestiniens et la Jordanie fusionneraient pour former l'État palestinien définitif. Son gouvernement serait confié aux Frères musulmans ce qui rendrait la solution acceptable aux yeux des gouvernements arabes actuels. Puis, le plateau du Golan serait restitué aux Syriens en échange de l'abandon du lac de Tibériade, selon le schéma envisagé jadis aux négociations de Shepherdstown (1999). La Syrie deviendrait garante du respect des traités par la partie jordano-palestinienne.

Comme dans un jeu de domino, on en viendrait alors à la question kurde. L'Irak serait démantelé pour donner naissance à un Kurdistan indépendant et la Turquie serait appelée à devenir un État fédéral accordant une autonomie à sa région kurde.

Côté US, on souhaiterait prolonger le remodelage jusqu'à sacrifier l'Arabie saoudite devenue inutile. Le pays serait divisé en trois, tandis que certaines provinces seraient rattachées soit à la fédération jordano-palestinienne, soit à l'Irak chiite, conformément à un vieux plan du Pentagone ("Taking Saudi out of Arabia", 10 juillet 2002). Cette option permettrait à Washington de laisser un vaste champ d'influence à Moscou sans avoir à sacrifier une partie de sa propre influence. Le même comportement avait été observé au FMI lorsque Washington a accepté d'augmenter le droit de vote des BRICS. Les États-Unis n'ont rien cédé de leur pouvoir et ont contraint les Européens à renoncer à une partie de leurs votes pour faire de la place aux BRICS.

Cet accord politico-militaire se double d'un accord économico-énergétique, le véritable enjeu de la guerre contre la Syrie étant pour la plupart des protagonistes la conquête de ses réserves de gaz. De vastes gisements ont en effet été découverts au Sud de la Méditerranée et en Syrie. En positionnant ses troupes dans le pays, Moscou s'assurerait un plus large contrôle sur le marché du gaz dans les années à venir.

Le cadeau de la nouvelle administration Obama à Vladimir Poutine se double de plusieurs calculs. Non seulement détourner la Russie de l'Extrême-Orient, mais aussi l'utiliser pour neutraliser Israël. Si un million d'Israéliens ont la double nationalité états-unienne, un autre million est russophone. Installées en Syrie, les troupes russes dissuaderaient les Israéliens d'attaquer les Arabes et les Arabes d'attaquer Israël. Par conséquent, les États-Unis ne seraient plus obligés de dépenser des sommes phénoménales pour la sécurité de la colonie juive.

La nouvelle donne obligerait les États-Unis à reconnaître enfin le rôle régional de l'Iran. Cependant Washington souhaiterait obtenir des garanties que Téhéran se retire d'Amérique latine où il a tissé de nombreux liens, notamment avec le Venezuela. On ignore la réaction iranienne à cet aspect du dispositif, mais Mahmoud Ahmadinejad s'est d'ores et déjà empressé de faire savoir à Barack Obama qu'il ferait tout ce qui est en son possible pour l'aider à prendre ses distances avec Tel-Aviv.

Ce projet a des perdants. D'abord la France et le Royaume-Uni dont l'influence s'efface. Puis Israël, privé de son influence aux États-Unis et ramené à sa juste proportion de petit État. Enfin L'Irak, démantelé. Et peut-être l'Arabie saoudite qui se débat depuis quelques semaines pour se réconcilier avec les uns et les autres afin d'échapper au sort qui lui est promis. Il a aussi ses gagnants. D'abord Bachar el-Assad, hier traité de criminel contre l'humanité par les Occidentaux, et demain glorifié comme vainqueur des islamistes. Et surtout Vladimir Poutine qui, par sa ténacité tout au long du conflit, parvient à faire sortir la Russie de son « containment », à lui rouvrir la Méditerranée et le Proche-Orient et à faire reconnaître sa prééminence sur le marché du gaz.

Thierry Meyssan

Source
Odnako (Fédération de Russie)
Hebdomadaire d'information générale. Rédacteur en chef : Mikhail Léontieff.

Article publié le 26 janvier 2013 dans l'hebdomadaire russe Odnako (magazine proche de Vladimir Poutine)

Syrie : la recherche d'une solution négociée

 
Hier, la communauté internationale était, une nouvelle fois, au chevet de la Syrie, en guerre civile depuis deux ans. À Moscou : François Hollande et Vladimir Poutine ; à Rome : les représentants de onze pays qui soutiennent les insurgés en lutte contre le président Bachar al-Assad.

À Moscou, les présidents français et russe ont plaidé pour un « dialogue politique » qui « doit trouver une forme nouvelle pour que toutes les parties s'y retrouvent ». Les deux chefs d'État veulent « éviter la dislocation de ce pays et ne pas laisser les terroristes profiter de ce chaos », comme l'a expliqué François Hollande.

« Encore des nuances »

Paris, dont la rhétorique franchement hostile envers le président syrien s'est infléchie depuis quelques mois, n'est toujours pas en phase d'alignement sur la position russe. « Nous avons des nuances, a poursuivi le président français, mais ça fait partie de la qualité de la relation entre la France et la Russie de les dire. Nous devons les régler parce qu'il y a besoin de la Russie pour trouver une issue politique attendue depuis trop longtemps ». Parmi ces « nuances » : le départ de Bachar al-Assad.

À Rome, les « amis du peuple syrien » (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Turquie, Égypte, Jordanie, Arabie Saoudite, Qatar, Émirats Arabes Unis et France) ont, pour leur part, promis aux opposants de l'aide mais pas d'armes. L'émissaire américain, John Kerry a ainsi annoncé « une contribution directe » de 60 millions de dollars aux rebelles de l'Armée syrienne libre (ASL) sous forme d'« aide médicale et de nourriture ».

Cette promesse ne devrait pas satisfaire les opposants syriens qui avaient menacé de boycotter la conférence pour protester contre l'inaction de la communauté internationale. Ils avaient prévenu à la veille de celle-ci qu'ils y demanderaient un « soutien militaire qualitatif » : missiles antichars et antiaériens, gilets pare-balles, blindés même. Les « Amis de la Syrie » ont cependant préféré appeler à l'arrêt immédiat des livraisons d'armes « ininterrompues » au régime de Bachar al Assad. L'appel vise notamment l'Iran et la Russie, qui reconnaît ouvertement équiper militairement Damas.

L'heure semble donc être, non plus à l'épreuve de forces, mais à la recherche d'une solution négociée. Une solution que les opposants semblent accepter. Pour preuve : l'annonce du report de la désignation d'un « Premier ministre » chargé du futur gouvernement en territoire rebelle. « Je pense que c'est une tentative americano-russe pour ouvrir un dialogue entre le régime syrien et la coalition, dont le résultat sera un gouvernement de transition. Et ceci s'oppose à l'idée de former un gouvernement temporaire de la part de la coalition », a expliqué Samir Nachar, membre de la Coalition nationale de l'opposition.

Le 01/03/2013 sur www.ouest-france.fr

Port de Gwadar, Pakistan : La Chine revient

 
Soucieux à la fois de désengorger le port de Karachi et de son voisin immédiat Port Kasim, de favoriser le développement de la province occidentale du Baloutchistan, le gouvernement pakistanais a décidé en 2001 et peu avant les attentats du 11 Septembre de construire un nouveau port à GWADAR petite localité qui n'abritait jusque là qu'un port de pêche.

Situé à un peu moins de 80 km de la frontière iranienne et à 400 km du détroit d'Ormuz ce nouveau port occupe une position stratégique.

Mais le projet a tardé à se concrétiser. En 2001 le Pakistan confie les travaux de construction à la Chine qui va assurer 85 % du financement de la première étape du projet.

Cette arrivée spectaculaire de la Chine dans cette région est évidemment mal perçue aux Etats- Unis, comme en Inde et en Occident en général. Elle permet en effet à la Chine d'ouvrir une route commerciale directe entre la mer d'Arabie et les provinces occidentales de la République Populaire via la route du Karakorum aménagée à grands frais à la frontière sino pakistanaise.

Les réactions ne vont pas manquer. Elles sont d'abord le fait de groupes insurgés baloutches qui sont en opposition armée avec le gouvernement central du Pakistan. Le Baloutchistan est la plus vaste province du pays mais la moins peuplée et la plus pauvre. Les baloutches sont également présents au sud de l'Afghanistan et à l'Est de la République Islamique d'Iran où ils revendiquent des territoires. L'agitation baloutche peut donc être mise à profit par les Etats-Unis dans sa stratégie anti-iranienne comme dans des opérations de déstabilisation du Pakistan et de division de l'Afghanistan. Pas étonnant donc que plusieurs attentats anti chinois marquent la période de construction du nouveau port.

La situation est à ce point délicate que le président pakistanais Musharraf va confier la gestion du port construit par la Chine au Port de Singapour donc à l'état de Singapour un des alliés les plus fidèles des Etats-unis en Asie du Sud-Est. La compétence professionnelle du Port de Singapour est incontestable mais la signification politique du choix en sa faveur est claire : Pervez Musharraf veut apaiser les Etats-Unis quitte à vexer l'ami chinois. Nous sommes en 2007.

De 2007 à 2012 le port de Gwadar va rester inactif. Par contre la guerre d'Afghanistan se poursuit et les bombardements collatéraux par les drones des Etats-Unis sur les régions du nord ouest du pakistan vont se multiplier suscitant de plus en plus de mécontentement des populations locales victimes et de l'armée pakistanaise elle-même. La liquidation de Ben Laden au nez et à la barbe de cette même armée pakistanaise va accroitre son mécontentement.

Au point que le gouvernement pakistanais va exprimer par diverses mesures son mécontentement contre les Etats-Unis. La Chine attendait son heure. Elle est venue !

Le gouvernement pakistanais vient en effet de confier la gestion et le développement du port de GWADAR à l'entreprise portuaire publique chinoise.

Dans le même temps l'Iran annonce la construction d'un port de guerre au voisinage de la frontière pakistanaise sortant ainsi une partie de ses forces navales du Golfe persique dans lequel elles risquaient de se trouver enfermées et célèbre la signature de l'accord pour la construction du gazoduc Iran-Pakistan dont les travaux viennent d'être confiés à une entreprise iranienne.

Ces informations montrent une profonde transformation des rapports internationaux dans cette région et font apparaitre un renversement stratégique d'importance : les puissances entourant le bunker Otanien afghan, en consolidant leurs liens, sont en passe de parachever son encerclement.

Par Comaquer sur www.mondialisation.ca le 28/02/2013