lundi 18 avril 2016

L'Asie, eldorado nucléaire

Dans une enquête fouillée, le journaliste Mathieu Gaulène dresse un panorama inquiétant de l’omniprésence de l’atome dans une région marquée par la catastrophe de Fukushima et où les rivalités sont exacerbées.

L’Asie n’est pas seulement la région du monde la plus peuplée. Elle est également une «terre d’avenir pour le nucléaire». Les besoins en énergie y sont croissants et les «projets gigantesques de construction de centrales font saliver toute l’industrie nucléaire mondiale», écrit le journaliste Mathieu Gaulène dans une synthèse-panorama  claire et engagée qui tombe à pic. Cinq ans après la catastrophe de Fukushima au Japon et au moment où la Corée du Nord multiplie les essais de bombe et les tirs de missiles balistiques, l’ouvrage dresse un inventaire des programmes civils, rappelle les risques élevés de prolifération de l’arme nucléaire dans une région où les rivalités sont légion, où la guerre froide perdure. Et s’intéresse de près à la vigueur des mouvements antinucléaires japonais, taïwanais et indiens qui viennent contrarier les rêves des «nucléocrates».

C’est au Japon que le livre démarre. Cinq ans après le 11 mars 2011 et le «désastre créé par l’homme» à Fukushima, Mathieu Gaulène tire les leçons de la catastrophe et revisite l’histoire du programme nucléaire nippon lancé avec la «bénédiction et l’aide des Etats-Unis, devenus les protecteurs de leur ancien ennemi […] à peine dix ans après Hiroshima et Nagasaki». Basé au Japon, Gaulène décrit comment la «machine à faire accepter le nucléaire» a acheté les oppositions et les silences, en partie avec le soutien des autorités françaises dont Areva. Des régions deviennent «droguées au nucléaire». Il fait état d’une vigoureuse «culture de la dissimulation», comme l’évoquait dans ces colonnes l’ex-Premier ministre Naoto Kan le 10 mars. Aujourd’hui, deux réacteurs seulement fonctionnent dans l’archipel, deux autres viennent d’être stoppés pour des raisons de sécurité.

Dorénavant, la Corée du Sud est le pilier principal du nucléaire civil en Asie avec 30% de son électricité produite par l’atome. Avec un parc de 24 réacteurs et 10 autres en projet, elle ambitionne de «porter la part du nucléaire à 59% d’ici à 2035», en dépit d’une méfiance croissante chez les Sud-Coréens. Dans le même temps, elle souhaite exporter 80 réacteurs et s’aligner comme une grande puissance du nucléaire à côté des Russes, des Américains et des Français.

Les ambitions chinoises et indiennes sont à la mesure de leurs besoins colossaux. Le nucléaire n’occupe pour l’instant qu’une faible part de leur mix énergétique. Et comme la République populaire de Chine «maîtrise l’ensemble de la technologie du cycle nucléaire», elle entend elle aussi «partir à l’export, notamment en développant des réacteurs low cost pour l’Amérique du sud ou les pays émergents d’Asie», note Gaulène.

La sécurité de ces futures centrales n’est pas le seul motif d’inquiétude en Asie. Cette zone de la planète, où s’est tenu un «immense marché noir de l’atome», abrite quatre puissances dotées de l’arme nucléaire : Chine, Inde, Pakistan et Corée du Nord. Et les agissements de Pyongyang, qui maîtrise mieux que jamais la logique de la dissuasion pour assurer sa survie, démontrent que la course à la bombe ne connaît pas la crise. 

Par Arnaud Vaulerin sur www.liberation .fr le 18/04/2016

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