Avant de partir au fin fond du Kirghizstan, j’étais totalement perdu. Mes rapports avec les autres, mes résultats scolaires, mon engagement sportif, la drogue, plus rien n’allait. Le pire dans tout ça, c’est que je ne réalisais pas.
Un jour de février 2014, mes parents sont venus me chercher à la sortie du lycée. Mon père m’a alors annoncé son projet : partir, ensemble, au Kirghizstan, et traverser les steppes d’Asie centrale à cheval. Sur le coup, je l’ai pris pour un fou. J’allais perdre un an de ma vie ! Mais très vite, j’ai compris que je n’avais pas vraiment le choix : c’était ça ou l’école militaire.
J’ai pété un plomb. Pendant plusieurs semaines, j’ai tout rejeté en bloc. Finalement, j’ai rejoint mon père à Paris pour commencer les préparatifs. Sans la moindre motivation.
Qu’est-ce que je foutais là ?
Chez mon père, je n’ai absolument rien fait. Je restais dans mon lit jusqu’à pas d’heure, je fumais des joints, pendant que mon père s’occupait des préparatifs du voyage. C’était son projet, pas le mien ! Nous n’étions pas du tout sur la même longueur d’onde.
Je savais que j’allais être éloigné de mes amis, de ma mère, pendant trois mois. Ça me gonflait. Je n’avais donc aucune raison de participer aux préparatifs et encore moins l’envie de donner raison à mon père.
Le 20 mai 2014, nous avons finalement pris un avion en direction de Bichkek, la capitale du Kirghizstan. Il était aux alentours de 4 heures du matin quand nous avons atterri. Il faisait encore nuit, je voyais à travers les vitres de la voiture de grandes routes totalement vides, des maisons crasseuses qui tombaient en lambeaux. Il n’y avait pas un chat dans les rues, et ça n’avait rien de rassurant.
Dans ma tête, je n’arrêtais pas de me demander ce que je pouvais bien foutre là.
En quelques heures, nous avons rejoint une ferme habitée par un couple de Français, Yann et Hélène. Mon père les avait contactés de Paris pour qu’il nous aide à mettre en place notre projet.
L’achat des chevaux a été un déclic
Les premiers jours, j’ai continué à traîner du pied. Je me levais tard, ne participais à aucune activité. Je crois que j’ai commencé à vraiment m’investir dans ce voyage qu’au moment où nous avons acheté les chevaux qui allaient nous servir de montures pour notre périple. Ils étaient à nous. Ce moment a été un véritable déclic.
Avec mon père, nous avions participé à stage d’équitation avant de partir, mais nous ne savions pas du tout nous occuper de chevaux. J’ai donc commencé à m’y intéresser. Je me suis levé plus tôt, j’ai tenté d’en apprendre le plus possible sur eux. J’aime beaucoup les animaux, et je voulais qu’ils soient traités de la meilleure des façons.
Les dix premiers jours ont été difficiles. Je n’arrêtais pas de me brouiller avec mon père. Nous n’étions d’accord sur rien. M’occuper des chevaux était pour moi une échappatoire.
Mon père et moi, en tête-à-tête
Deux semaines environ après notre arrivée au Kirghizstan, nous avons finalement quitté la ferme de Yann et Hélène. Cette dernière nous a d’ailleurs accompagnés durant les premiers jours de notre voyage.
Quand elle est partie, mon père et moi, nous nous sommes retrouvés seuls. J’ai alors réalisé que ce tête-à-tête allait être difficile à tenir. Nous allions être obligés de nous parler, de vivre ensemble sur des centaines de kilomètres.
Évidemment, il y a eu des engueulades, des prises de bec entre nous deux, mais il y a eu aussi beaucoup de discussions. Par la force des choses, j’ai commencé à rentrer totalement de voyage. Mon père m’a parlé de sa vie passée et de la manière dont il avait vécu ma naissance. Mes parents se sont séparés quand j’étais très jeune. Je voyais mon père pendant les vacances, mais je n’avais jamais vraiment essayé de le comprendre ou de le connaître.
Mon plus beau moment…
Durant ce voyage, nous avons croisé la route de nombreuses personnes. Je me souviens notamment de ce jeune garçon âgé de 12 ans qui, un matin, alors que nous étions hébergés dans sa famille depuis trois jours, m’a demandé si je souhaitais me joindre à lui pour la journée et l’aider dans ses activités.
Ensemble, nous avons sellé deux chevaux et nous sommes partis dans la montagne pour y mener un troupeau de vaches. Le paysage était époustouflant.
Durant toute la journée, il m’a parlé de son pays, m’a expliqué ses activités. Sur le chemin, il me montrait les plantes comestibles. Avec lui, j’avais le sentiment d’être enfin moi. Il ne me considérait pas comme un simple touriste en recherche de sensations fortes. Non, j’avais l’impression d’avoir à côté de moi un professeur du Kirghizstan.
… et le plus étrange
Il y a eu aussi cet épisode dans le désert. Toute la journée, nous avions traversé une zone totalement aride. Il devait faire 45°C. Sur notre chemin, nous n’avons croisé absolument personne.
À la fin de la journée, nous étions épuisés, suants, et surtout très inquiets : nous n’avions trouvé ni de point d’eau ni d’endroit pour faire manger les chevaux. Nous sommes alors arrivés dans un village. Il y avait un groupe de Kirghizes particulièrement alcoolisés, la situation ne se présentait pas bien.
Alors que nous allions rebrousser chemin, une superbe vieille voiture a déboulé. Un jeune, bien habillé, en est sorti et m’a demandé dans un anglais parfait ce que nous faisions là. Il nous a expliqué qu’il était étudiant en Angleterre et souhaitait nous accueillir chez lui. À l’intérieur, nous avons pu prendre une douche, vu une télévision avec des chaînes internationales pour la seule fois de notre séjour. La Coupe du monde était diffusée. J’avais l’impression de rêver, mais ce qui était étrange, c’est que je n’en tirais aucun plaisir.
"Je rentre en France."
Au fil des jours, j’ai cessé de penser aux cigarettes, à la drogue et je me suis plongé dans ce nouvel univers. Je réalisais à quel point ce voyage me faisait du bien.
Pourtant, tout au long du voyage, les clashs avec mon père ont continué. Ce n’était pas facile d’être toujours l’un avec l’autre, l’un dépendant de l’autre. À chaque fois qu’on s’embrouillait, je lui disais :
"Je rentre en France."
Physiquement, nous étions à bout et ça n’arrangeait pas vraiment les choses. Mon père s’entêtait, moi, je me braquais. Quelques jours avant la fin, il y a eu un ultime clash. Encore une fois pour des broutilles.
Le retour a été difficile
Nous avons passé 90 jours au Kirghizstan. Le retour en France a été difficile. J’avais l’impression d’être déconnecté. Pendant deux semaines, c’était comme si j’étais ailleurs, en décalage avec tout le reste. Je n’arrêtais pas de penser au Kirghizstan, à ce que j’avais vécu. C’était un monde si différent.
Puis, j’ai repris mes vieilles habitudes. J’avais envie de profiter et je suis retombé dans mes travers. Je ne travaillais plus, je me remettais à fumer de l’herbe et j’ai surtout eu un accident de scooter qui m’a valu une opération, et trois semaines dans un centre de rééducation. Au bout de trois mois, en décembre 2014, mon père est finalement redescendu sur Biarritz pour qu’on parle de la situation.
Et c’est là que j’ai compris : je devais tirer des leçons de ce voyage. La prise de conscience a été immédiate. J’ai arrêté les conneries quasiment du jour au lendemain. Trois mois avant mon bac de français, je me suis remis à travailler. L’été, je suis même retourné au Kirghizstan pour travailler avec Hélène, pour accompagner des touristes dans la montagne.
Avec mon bac en poche, je rêve de me tourner vers l’international
Ce voyage m’a énormément apporté. Il m’a permis de découvrir une nouvelle culture, d’être plus tolérant envers les autres, acquérir une certaine maturité, de prendre conscience de qui j’étais, mais il m’a aussi énormément rapproché de mon père. J’ai appris à le connaître. Depuis, on s’appelle souvent.
Cette année, j’ai passé un bac sciences et technologies du management. Je viens d’avoir les résultats : je l’ai eu, et même avec une mention bien, c’est une belle récompense.
Aujourd’hui, j’ai envie de me tourner vers le commerce international et le développement durable. Je ne pense qu’à une seule chose : voyager.
Propos recueillis sur par Louise Auvitu et publiés sur http://leplus.nouvelobs.com le 11 juillet 2016
Pour en savoir +, retrouvez le témoignage de Renaud François, publié sur Le Plus >> "Échec scolaire, drogue... Mon fils était à la dérive. Je l'ai emmené au Kirghizstan".
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