samedi 11 février 2017

Un large pont de terre entre l'Asie et l'Amérique


Des informations fournies par la génétique des populations autochtones et la récente découverte au Yukon d’ossements et d’outils ayant été manipulés par des humains il y a 24 000 ans corroborent l’hypothèse selon laquelle des humains provenant de Sibérie se sont retrouvés piégés et isolés en Béringie pendant 10 000 ans avant de pouvoir se disperser dans l’ensemble du continent américain. Mais où précisément cette population humaine a-t-elle vécu durant cette période qui correspond au dernier maximum glaciaire ?

John Frank Hoffecker de l’Université du Colorado à Boulder, Dennis O’Rourke de l’Université du Kansas et leurs collègues croient que ces humains auraient élu domicile dans le sud de la Béringie centrale, qui à l’époque se présentait comme un large pont de terre reliant le nord-est de la Sibérie à l’Alaska. Lors de la fonte des glaciers, ce pont de terre mesurant 1600 km du nord au sud a graduellement été submergé et recouvert par le détroit de Béring.

Des études de paléoécologie ont en effet montré que cette large bande de terre jouissait d’un climat nettement plus doux et humide que dans le nord-est de la Sibérie, où sévissait un froid intense et très sec, donc carrément hostile pour les humains. L’analyse de carottes de sédiments ayant été obtenues lors de forages dans le plancher océanique du détroit de Béring et le long de la côte de l’Alaska a révélé la présence de pollens d’arbres, d’arbustes et de plantes, ainsi que d’insectes qui prospèrent normalement sous un climat nettement plus clément que celui des steppes sibériennes.

« Grâce aux effets des courants du Pacifique Nord, le sud de la Béringie centrale profitait probablement de conditions de température et d’humidité relativement douces et favorables à une toundra arbustive, composée d’arbustes, de quelques arbres et de zones humides qui ont pu attirer des oiseaux aquatiques migrateurs durant les mois les plus chauds et ainsi fournir une source additionnelle de nourriture aux humains », affirme M. Hoffecker.

Ces arbustes et ces arbres ont pu également servir de bois pour faire des feux que les peuples indigènes alimentaient avec des os, qui sont reconnus pour brûler rapidement mais dégager beaucoup de chaleur.

Pour Dennis O’Rourke, l’article publié dans PLOS One qui révèle la présence d’humains au Yukon il y a 24 000 ans demeure en accord avec le fait que les populations humaines provenant de Sibérie résidaient en permanence sur le pont de terre du sud de la Béringie centrale durant le dernier maximum glaciaire. Toutefois, « certains groupes devaient partir occasionnellement, de façon saisonnière, en expédition dans les hautes terres de la Béringie orientale [où se trouvent les grottes du Poisson-Bleu] pour chasser et récolter d’autres ressources. Mais probablement qu’ils ne trouvaient pas suffisamment de ressources disponibles dans cette zone moins hospitalière pour l’occuper toute l’année durant le dernier maximum glaciaire », précise-t-il.

Lauriane Bourgeon croit aussi que « des groupes de chasseurs basés en Béringie centrale devaient partir explorer les régions plus steppiques situées plus à l’est et plus à l’ouest. Ils ont dû probablement utiliser les grottes du Poisson-Bleu comme un site de chasse »« Il est vrai qu’on a retrouvé très peu d’outils de pierre taillée, ce qui veut probablement dire que les humains devaient chasser dans ce coin, mais qu’ils n’y habitaient pas », admet-elle.

Selon M. O’Bourke, « l’écologie locale à l’extérieur du sud de la Béringie centrale devait être trop inhospitalière pour une occupation annuelle durant le dernier maximum glaciaire et a dû contraindre les populations à demeurer en permanence, et ce, pendant une période de 8000 à 10000 ans, dans cette zone plus chaude et plus agréable qu’était alors le sud de la Béringie centrale ».

Mais quand les humains auraient-ils investi cette bande de terre qui est aujourd’hui sous le détroit de Béring ? « La découverte d’un complexe de sites archéologiques en Sibérie près de la rivière Yana, en Béringie occidentale [nord-est de la Sibérie], témoigne d’une présence humaine il y a 32 000 ans. Mais entre 32 000 et 24 000 ans, on ne sait pas trop ce qui s’est passé. Si on se fie aux seules données génétiques, les humains seraient arrivés en Béringie, il y a entre 24 000 et 25 000 ans », précise Lauriane Bourgeon.

Par Pauline Gravel sur www.ledevoir.com le 11/02/2017

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