mercredi 13 février 2013

Le scénario immuable du psychodrame nord-coréen

Le scénario semble immuable: la Corée du Nord effectue un essai nucléaire, déclenche un concert de condamnations internationales et incite l'Onu à lui imposer de nouvelles sanctions somme toute modestes. Washington exprime l'espoir que la Chine finira par ramener au pas cet allié effronté. Puis rien ne se passe.

Le monde a déjà vu ce film en 2006 et 2009, et le troisième épisode, qui a débuté dans la nuit de lundi à mardi avec un nouveau test nord-coréen, aura probablement un air de déjà-vu.

Pékin n'a jamais soutenu de lourdes sanctions contre la Corée du Nord, craignant des troubles dans ce pays imprévisible avec lequel la République populaire partage sa frontière nord-est. Et la nouvelle stratégie américaine du "pivot", consistant à se tourner vers l'Asie-Pacifique, devrait encore moins inciter la Chine à s'aligner sur la position de Washington, d'autant que Pyongyang ne se prive pas d'exploiter le haut niveau de méfiance caractérisant les relations sino-américaines.

"Plus les Etats-Unis rééquilibrent leurs forces vers le Pacifique Ouest, plus la Chine lâchera du lest dans sa relation avec la Corée du Nord", estime Shen Dingli, spécialiste des questions de sécurité régionale à l'université Fudan de Shanghai.

La première réaction chinoise à l'essai nucléaire - Pékin s'est déclaré "fortement mécontent et résolument opposé" à l'initiative nord-coréenne - laisse entendre que la nouvelle direction chinoise nommée à l'automne dernier ne réprimera pas plus sévèrement son voisin isolé, avec lequel ses échanges commerciaux sont en hausse.

Les commentaires officiels chinois restent mesurés lorsqu'on les compare aux mises en garde qui ont précédé l'explosion, relayées par certains médias d'Etat et suggérant par exemple la suppression de certaines aides.

DOS AU MUR

Les connaisseurs de la politique étrangère chinoise soulignent que les priorités de la Chine diffèrent de celles des Etats-Unis ou de leurs alliés asiatiques, Japon et Corée du Sud. L'instabilité à la frontière est pour Pékin une source d'inquiétude bien plus grande que le problème nucléaire.

"La Chine s'est toujours inquiétée de voir la Corée du Nord s'effondrer du jour au lendemain", relève Zhu Feng, professeur de relations internationales à l'université de Pékin. "Il pourrait y avoir un afflux de réfugiés, une guerre civile, des confrontations militaires. C'est pour cela que la Chine hésite."

Depuis la grande famine du milieu des années 1990 qui a tué plus d'un million de Nord-Coréens, la Chine fournit à Pyongyang une aide en aliments et en carburant dont on ignore l'ampleur. Et elle a récemment augmenté ses échanges et investissements.

Le commerce entre les deux pays a bondi de 24,7% sur un an, à 3,1 milliards de dollars, au premier semestre 2012. En 2011, les échanges annuels avaient déjà totalisé 5,7 milliards de dollars, soit une hausse de 62,4% par rapport à 2010.

On estime aussi que Pékin a une conception généreuse - en faveur de Pyongyang - de ce qui définit les "biens de luxe" que l'Onu interdit d'exporter vers la République démocratique populaire de Corée (RDPC).

"Pékin ne va pas mettre Pyongyang le dos au mur. Parce qu'il ne veut pas une guerre et ne veut pas modifier le statu quo dans un sens favorable aux Etats-Unis", résume Stephanie Kleine-Ahlbrandt, directrice pour l'Asie du Nord-Est de l'International Crisis Group.

VISER LES BANQUES ?

D'autant que la décision de Barack Obama de recentrer la stratégie américaine vers l'Asie, après une décennie de guerre dans le monde musulman, est considérée par Pékin comme une menace.

Pour inciter la Chine à se montrer plus ferme envers la Corée du Nord, George Lopez, ancien membre du panel d'experts des Nations unies sur les sanctions contre Pyongyang, estime que les Etats-Unis devraient invoquer le spectre d'un armement nucléaire du Japon et de la Corée du Sud, ou d'un renforcement de leurs alliances militaires avec Washington.

Selon lui, le message devrait être: "Il faut traiter avec nous et créer un cadre de relations bilatérales avec des objectifs communs, sinon on ne maîtrisera plus rien."

George Lopez et d'autres experts évoquent aussi la possibilité pour les Américains de s'appuyer sur les lois existantes pour contraindre Pékin à une surveillance accrue des transactions financières avec la Corée du Nord.

En 2005, des sanctions du département américain du Trésor visant Banco Delta Asia, une petite banque basée dans l'enclave chinoise de Macao, pour blanchiment d'argent et trafic de fausse monnaie, avaient provoqué de gros problèmes financiers en Corée du Nord et effrayé les banques chinoises qui redoutaient d'être exclues du système financier américain.

Dans son discours sur l'état de l'Union, le président Barack Obama a estimé mardi que les Etats-Unis devaient prendre l'initiative pour répondre aux menaces nord-coréennes. Il n'a pas fait allusion à un rôle éventuel de la Chine.

"Les provocations telles que celle à laquelle nous avons assisté la nuit dernière vont uniquement contribuer à isoler davantage (la Corée du Nord) car nous restons aux côtés de nos alliés, nous renforçons notre propre système de défense antimissile et nous sommes à la tête des efforts internationaux pour entreprendre une action ferme face à ces menaces", a-t-il dit.

Par Paul Eckert et Michael Martina. Publié sur http://tempsreel.nouvelobs.com le 13/02/2013
Jean-Stéphane Brosse pour le service français, édité par Marc Angrand

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