vendredi 11 août 2017

Face à Pyongyang, l'Asie sur le pied de guerre nucléaire


Le poker nucléaire dans la péninsule coréenne va-t-il accélérer la course aux armements en Asie ? La région est déjà la plus militarisée et la plus nucléarisée au monde avec quatre des neuf puissances atomiques. Toutes sont lancées dans des programmes de modernisation qualitative ou quantitative de leurs arsenaux, rappelait en juillet le Sipri, institut de recherche basé en Suède qui fait autorité en matière d’armement et de prolifération.
Sur les 14 935 têtes nucléaires déployées sur la planète, au moins 400 sont aux mains de la Chine, du Pakistan, de l’Inde et de la Corée du Nord. La dynastie des Kim est le dernier Etat en date à avoir rejoint en 2006 le club très fermé de ceux dotés de la bombe. Depuis, elle a procédé à plusieurs dizaines de tirs de missiles et à cinq essais nucléaires, dont trois exécutés sous la férule de Kim Jong-un. Dans cette région sous tension, le Japon et la Corée du Sud sont les seules grandes puissances économiques à ne pas être dotées de la bombe atomique. Elles doivent s’en remettre à l’allié américain qui leur offre son parapluie nucléaire. Depuis 1951 (pour le Japon) et 1953 (pour la Corée du Sud), Tokyo et Séoul sont protégés par la dissuasion américaine qui reste donc plus que jamais d’actualité.
Mais avec le feu d’artifice à répétition de la Corée du Nord et la probabilité d’un désengagement de l’armée américaine en Asie évoquée par Donald Trump pendant la présidentielle, les Japonais et les Sud-Coréens redoutent de se retrouver privés de bouclier. Ces dernières années, ils ont investi dans la modernisation de leurs armées. Si l’effort déployé n’est plus comparable à celui des années 90, le budget sud-coréen augmentera tout de même de 4 % cette année par rapport à celui de 2016. Il sera consacré en partie au perfectionnement des systèmes de missiles pour tenter de faire face à la menace du Nord.
Un danger «majeur et imminent»

De son côté, le Japon multiplie également les dépenses, en hausse pour la cinquième année consécutive en 2017. S’il déplore un «nouveau degré de menace» causé par le programme balistique nord-coréen, Tokyo s’alarme aussi des ambitions militaires de Pékin en mer de Chine méridionale et près de l’archipel des Senkaku. Dans un livre blanc publié mardi, le nouveau ministre de la Défense japonais, Itsunori Onodera, qualifie la Corée du Nord de danger «majeur et imminent»«Il est probable qu’au fil du temps augmente le risque du déploiement de missiles balistiques dotés d’ogives nucléaires capables d’atteindre notre pays», insiste le document.

Publié tous les ans par le ministère japonais de la Défense, ce texte s’alarme pour la première fois de l’amélioration et de la précision des capacités opérationnelles de la Corée du Nord. Il évoque le scénario d’«attaque de saturation», au cours de laquelle un grand nombre de missiles seraient lancés simultanément pour traverser un bouclier de défense d’un pays ou d’une zone ciblée. Ces derniers mois, les autorités japonaises ont entrepris des exercices de simulation pour évacuer les populations et envisagent de construire des abris antinucléaires.

Ce livre blanc est dans la droite lignée d’un rapport d’experts et de parlementaires japonais, qui amorçait un tournant dans la politique sécuritaire de l’archipel. En mars, un groupe d’anciens ministres et d’élus du puissant Parti libéral-démocrate (PLD) avait remis au Premier ministre, Shinzo Abe, une série de «propositions urgentes» visant à renforcer la défense antimissile du pays et à muscler sa politique sécuritaire en passant clairement à l’offensive. Ils recommandaient au gouvernement de se procurer des missiles de croisière à longue portée, capables de frapper les engins et les sites nord-coréens. «La première attaque [de l’ennemi] peut être contrée avec notre défense antimissile [actuelle]. Pour ce qui est des frappes répétitives, il est important de mettre hors d’état de nuire les sites de lancement de l’adversaire et d’éviter d’autres tirs», expliquait en début d’année Itsunori Onodera.

Si cette recommandation ne fait pas franchement débat, il en va autrement de la question de l’arme nucléaire qui relève quasiment du tabou. A Séoul, et dans une moindre mesure à Tokyo, l’idée a refait surface ces derniers mois. Elle n’a jamais été absente des débats politiques. Les conservateurs sud-coréens, comme l’ancien candidat à la présidentielle Chung Mong-joon ou l’ex-leader du parti Saenuri Won Yoo-chul, martèlent depuis plusieurs années cette possibilité pour contrer la menace nord-coréenne. A en croire le Miami Herald, plusieurs dizaines d’élus du Liberty Korea Party soutiendraient le projet d’une Corée du Sud dotée de l’arme nucléaire. En septembre 2016, après le cinquième essai de Pyongyang, un sondage indiquait que le scénario du réarmement nucléaire était soutenu par 58 % des Sud-Coréens. Mais en 1975, sous pression américaine, Séoul a signé le Traité de non-prolifération (TNP). La ratification n’a pas empêché le dictateur Park Chung-hee de poursuivre un programme clandestin jusqu’à son assassinat, en 1979. Depuis, le président élu en mai, Moon Jae-in, s’est positionné sans ambiguïté comme un antinucléaire civil et militaire. Mais avec ses 25 réacteurs nucléaires, la Corée du Sud peut assez facilement s’engager dans un programme militaire.

Ballon d’essai ou maladresse ?

C’est du reste l’argument que les Etats-Unis avaient avancé l’année dernière au sujet de leur allié japonais, qui a pourtant subi leur feu nucléaire à deux reprises en août 1945. «Que se passerait-il si le Japon devenait une puissance nucléaire demain ? Ils ont la capacité de le faire pratiquement du jour au lendemain», avait dit l’ex-vice-président Joe Biden, lors d’une rencontre avec le président chinois, Xi Jinping, en juin 2016. Tokyo, qui n’a jamais ratifié le Traité de non-prolifération, avait répondu que «le Japon ne pourra jamais détenir des armes nucléaires».

Mais les Américains n’ont cessé d’alimenter ce débat tabou. Durant sa campagne, Trump avait soupesé l’idée que le Japon et la Corée du Sud se dotent de l’arme atomique. Surtout si les 80 000 GI présents dans la péninsule coréenne et l’archipel nippon devaient plier bagage. En mars, lors d’une de ses visites en Asie, c’est le secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, qui est revenu à la charge (ballon d’essai ou maladresse ?) pour évoquer la possibilité d’un Japon armé de l’atome. «Nous disons que toutes les options sont sur la table, expliquait-il alors que la crise avec Pyongyang s’envenimait, mais nous ne pouvons pas prédire l’avenir. Nous pensons donc qu’il est important que chacun dans la région comprenne bien que les circonstances pourraient évoluer jusqu’au point où, pour des raisons de dissuasion mutuelle, nous pourrions envisager cela.» «Cela» ne serait certainement pas en phase avec la très pacifiste Constitution japonaise.

Trump fait dans la surenchère

Alors que les appels au calme se multiplient à travers le monde, Donald Trump a de nouveau menacé vendredi d’intervenir contre la Corée du Nord. «Les solutions militaires sont maintenant complètement en place, et prêtes à l’emploi, si la Corée du Nord se comporte imprudemment», a tweeté le président américain. Un peu plus tôt, la Chine avait enjoint Washington et Pyongyang à «faire preuve de prudence dans leurs mots et leurs actions, et à agir davantage pour apaiser les tensions». La Russie s’est dite, elle, «très inquiète». «Les risques sont très élevés, surtout en prenant en compte la rhétorique employée», a déclaré le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov.

Par Arnaud Vaulerin sur www.liberation.fr le 11/08/2017

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