dimanche 29 novembre 2015

La longue marche de la « monnaie du peuple »

C'est aujourd'hui que le FMI intègre la monnaie chinoise dans son panier de devises de référence. Un pas de plus vers la reconnaissance internationale pour le yuan, et une étape stratégique pour Pékin qui cherche à se soustraire à l'influence du dollar.

Des « Renminbi » disponibles n'importe où et n'importe quand, comme c'est le cas du dollar ou de l'euro ? Des taux de changes fixés par l'offre et la demande, avec juste ce qu'il faut d'intervention de la banque centrale chinoise à l'image de ce que font avec doigté la Fed ou la BCE ? Des capitaux qui vont et viennent librement dans le pays, quitte pour le parti communiste à abandonner une partie de sa souveraineté aux investisseurs étrangers ? Même si la monnaie du peuple s'apprête à rejoindre la première division des devises mondiales, tout cela va encore demander du temps.

Sauf surprise de dernière minute, le Fonds monétaire international va intégrer aujourd'hui le Yuan (l'autre nom du Renminbi) dans son panier de référence – les « droits de tirage spéciaux » ou DTS dans le jargon de l'organisation. Ce faisant, la Chine va surtout gagner un surcroît de reconnaissance internationale : quand on est la deuxième puissance économique mondiale, on se doit disposer d'une monnaie de référence, même si l'inclusion dans les DTS ne va pas provoquer un afflux de demande en yuans.

Peu importe, car pour Pékin il s'agit d'une étape symbolique qui s'inscrit dans un dessein bien plus large et de long terme : sortir de la dépendance au dollar et, un jour, créer une zone renminbi, comme il y a une zone dollar. La devise chinoise a déjà fait une partie du chemin vers son internationalisation depuis qu'elle a vu le jour, confinée dans le pays par Mao et ses compagnons durant des décennies. Sa longue marche vers le monde extérieur peut être tracée en 2005 avec la fin de la parité fixe par rapport au billet vert. Quatre ans plus tard, alors que la planète essaye d'éteindre l'incendie des « subprimes » américains, Zhou Xiaochuan, le gouverneur de la banque centrale chinoise (la « PBOC » en anglais) émet l'idée que la planète se dote d'une « super »-devise de référence internationale. Sans succès, et la monnaie américaine a conservé depuis sa suprématie.

La patience étant une vertu cardinale en Chine, Pékin a alors fait de l'inclusion du yuan dans le panier de référence du FMI une priorité nationale, poursuivant toute une série de réformes de son système financier pour accroître l'usage international de sa devise et, ainsi, se donner le maximum de chances de réussir l'examen. Royaume-Uni, Allemagne, France, Suisse… On ne compte pas les accords de « swaps » de la PBOC avec ses homologues occidentales. Ces dernières, ainsi que les fonds souverains, ont désormais accès au marché interbancaire chinois des obligations.

Lors de sa visite en grande pompe à Londres en octobre dernier, Xi Jinping a annoncé que le pays allait émettre de la dette en yuans depuis la City. L'idée d'une connexion directe entre les Bourses des deux pays a aussi été lancée. La liaison Hong Kong-Shanghai, elle, vient de souffler sa première bougie sur un bilan mitigé mais qui n'injurie en rien l'avenir, en attendant celle qui reliera l'ex-colonie britannique et Shenzhen (« Les Echos » du 17 novembre). Autre mesure phare, les taux de prêts ou de dépôts ont perdu leurs dernières contraintes, même si les banques ne sont pas encore totalement libres de faire ce qu'elles veulent.

Et puis il y a eu le changement surprise, le 11 août dernier, du mécanisme de fixation du yuan, qui a eu l'effet d'une bombe sur le marché actions. Considérée par la planète entière comme une dévaluation compétitive destinée à relancer les exportations, la mesure était plus probablement destinée à plaire au FMI. Message reçu par les équipes de Christine Lagarde, qui ont fait tomber leurs dernières réserves doctrinales sur le caractère convertible de la devise chinoise. Depuis, la banque centrale intervient quasiment tous les jours pour maintenir proches les taux du yuan « onshore » (contrôlé à Shanghai) et « offshore » (librement à Hong Kong) par rapport au dollar. Le mot d'ordre ? Stabilité. Ne manquait plus que les Etats-Unis lèvent leur critique récurrente sur la sous-évaluation du yuan, et le blanc-seing du FMI était acquis.

Pour quel bilan, in fine ? Le yuan est de plus en plus utilisé dans les transactions commerciales mondiales, au point d'avoir supplanté le yen japonais. Mais il ne pèse que 3 % du total. Qui plus est, l'essentiel se fait entre le Continent et… Hong Kong. Les flux de capitaux restent contrôlés et la banque centrale dégaine plus souvent que ses pairs l'arme monétaire. Les interventions politiques pour mettre fin au krach boursier de cet été ont atteint leurs objectifs, mais au prix d'une grande défiance des investisseurs étrangers, qui n'apprécient que très peu les interventions étatiques d'une manière générale, et chinoises encore moins. Pékin paie là le manque d'indépendance de ces organes de contrôle.

Tout cela fragilise le discours officiel censé laisser les « forces du marché » jouer un rôle accru dans la marche des affaires. D'autant que, avec le ralentissement économique en cours, les réformes du système financier pourraient perdre de leur priorité devant les mesures de relance. Les quelques mois à venir seront donc cruciaux pour vérifier si, à Pékin, le vrai changement, c'est maintenant ou non. En attendant, la Chine peut se targuer d'une victoire symbolique : sa « monnaie du peuple » est la première devise émergente à intégrer le FMI.

Alain Ruello sur www.lesechos.fr le 29/11/2015

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