mercredi 21 mars 2012

Quand l'Asie devient fordiste

Le 1 er avril, le SMIC augmentera de 40 %. Et les constructeurs automobiles se frottent les mains : ils vont pouvoir vendre plus de modèles. Ce n'est pas une blague, mais ça ne se passe pas en France. Le salaire minimum va bondir le mois prochain en Thaïlande, après avoir déjà pris 20 % dans la région chinoise de Shenzhen le mois dernier. En Indonésie et aux Philippines, le gouvernement conseille vigoureusement aux entreprises d'augmenter leurs employés. La Malaisie et le pourtant très libéral Hong Kong vont à leur tour instituer un plancher aux salaires. Les rémunérations s'enflamment sur tout le continent. Comme de plus en plus souvent en Asie, c'est la Chine qui a lancé le mouvement, donnant une marge de manoeuvre précieuse aux gouvernants et aux chefs d'entreprise des pays voisins. Et comme toujours depuis trois décennies, elle va très vite. Ses employeurs ont quintuplé le salaire moyen en une décennie ! C'est toute notre représentation de la planète économique qu'il va falloir changer. Le gouffre des rémunérations entre l'Asie et l'Europe se comble à toute allure. Il n'est parfois plus qu'un petit fossé. Dans plusieurs régions chinoises, le salaire minimum est désormais au même niveau qu'en Roumanie et en Bulgarie.
Les Etats-Unis étaient entrés il y a près d'un siècle dans la boucle vertueuse où la hausse des salaires soutient la demande, quand Henry Ford décida en 1914 de doubler la paie de ses ouvriers. L'Europe avait suivi après la Seconde Guerre mondiale, il y a plus d'un demi-siècle. C'est désormais au tour de l'Asie. Avec la même condition de départ : une révolution industrielle, dégageant des gains de productivité colossaux. Et un circuit différent : les Etats jouent un rôle moteur, sans doute plus important que les mouvements sociaux. La hausse des salaires s'inscrit parfaitement dans leur politique de rééquilibrage de la croissance, où la consommation doit prendre le relais de l'exportation et de l'investissement.
Pour les Européens et les Américains, le basculement fordiste de l'Asie est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Une bonne nouvelle, car la pression sur les salaires, souvent ressentie douloureusement, va fatalement diminuer. Une mauvaise nouvelle, car une Asie fordiste tournera de plus en plus sur elle-même. Il est illusoire d'en attendre l'essentiel de la croissance sur le Vieux Continent et dans le Nouveau Monde. Ce qui nous renvoie à une question vitale : comment retrouver le chemin des gains de productivité sur une planète aux ressources naturelles en voie de raréfaction.

Par Jean Marc Vittori sur http://www.lesechos.fr/ le 21/03/2012

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