François se rend au Sri Lanka puis aux Philippines pour un voyage qui durera jusqu'au 19 janvier. Deux pays en crise sur les plans politique et religieux.
« Nous pouvons prier pour que, tout comme au premier millénaire la Croix, fut plantée sur le sol européen, au second millénaire sur les sols américain et africain, on puisse, au troisième millénaire, recueillir une grande moisson de foi sur ce continent asiatique si vaste et si vivant », déclarait Jean Paul II en 1995.
Comme lui, François regarde vers l'Asie. Après la Corée du Sud en août 2014, il a choisi deux pays sur ce continent pour son septième déplacement hors d'Italie. Par ailleurs, le 4 janvier, il a annoncé la création de trois évêques asiatiques : le Vietnamien Pierre Nguyên Van Nhon, archevêque de Hanoï, le Thaïlandais François-Xavier Kriengsak Kovithavanij, archevêque de Bangkok, et le Birman Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun. Pour le pape argentin, qui a fait de la mission et de l'annonce de l'Évangile le cœur de son pontificat, ce tropisme oriental n'a rien d'étonnant. Certes, les catholiques n'y représentent que 3,2 % de la population globale, mais leur dynamisme est grand, et c'est là que l'on enregistre la plus forte augmentation du nombre de prêtres, de religieuses et de missionnaires, devant l'Afrique, seul autre continent en progression, quand en Europe, en Amérique et en Océanie les indicateurs sont à la baisse. Entre 2001 et 2011, la proportion de catholiques en Asie a augmenté de 32 %.
En visitant le Sri Lanka et les Philippines, François va embrasser deux nouveaux visages de ce continent. Au Sri Lanka, pays meurtri par la récente guerre civile, bouddhiste à 70 %, où les catholiques représentent la plus petite minorité (7 % de la population), derrière les musulmans et les hindous, il est attendu sur le terrain de la paix et de la réconciliation. Aux Philippines, pays catholique à plus de 80 %, ravagé par des catastrophes naturelles, il est attendu sur la famille, l'écologie et la pauvreté.
En ce jour où je commence mon voyage au Sri Lanka et aux Philippines, je vous demande de prier pour moi et pour les peuples de ces pays.
Contexte politique houleux au Sri Lanka
Au Sri Lanka, le contexte politique est houleux. Et, comme l'analyse Régis Anouil, directeur de l'agence de presse Églises d'Asie (Eda), sa venue est désirée avec autant de joie que d'appréhension. Joie, « car la précédente visite d'un pape remonte à celle de Jean Paul II en 1995 et que le pape François vient conforter une communauté minoritaire qui a souffert, à l'image du pays tout entier, des années de guerre ayant opposé l'armée gouvernementale aux Tigres tamouls, jusqu'à la défaite de ceux-ci au printemps 2009 ». En effet, il existe des catholiques des deux côtés, cinghalais et tamoul. Sa venue suscite aussi l'appréhension « car le président sortant a convoqué une élection présidentielle pour le 8 janvier, à cinq jours seulement de l'arrivée du pape à Colombo et que beaucoup craignent que les violences qui entachent habituellement les périodes électorales dans ce pays ne viennent perturber une visite qui sera placée sous le signe de la paix et de la réconciliation ».
Car le président du Sri Lanka, Mahinda Rajapakse, qui termine son deuxième mandat, a décidé d'en briguer un troisième, après avoir fait modifier la Constitution. La date de l'élection a été avancée, et de nombreux observateurs dénoncent une manœuvre pour capter les voix des catholiques. Dans plusieurs villes du pays, des affiches présentant le président accueilli par François lors de sa dernière visite au Vatican ont été placardées, affiches dont la Conférence épiscopale sri lankaise et des associations ont demandé le retrait après avoir réclamé en vain le report de l'élection. Se montrer aux côtés du très populaire François apparaît comme une tentative pour Mahinda Rajapakse de récupérer, sur la scène internationale, une forme de respectabilité, très écornée depuis qu'il a refusé à plusieurs reprises la tenue d'enquêtes indépendantes sur les crimes de guerre commis lors de la guerre civile.
Sur place, des catholiques dont le militant cinghalais Ruki Fernando ont demandé au pape de reporter sa visite car ils craignent des violences post-électorales. Interviewé par Églises d'Asie, l'historien Éric Meyer explique : « Le facteur de risque est évident, et les violences ont déjà commencé en province. Elles peuvent s'étendre jusqu'à Colombo et prendre la forme d'affrontements entre les partisans du président et ceux de son principal rival. Ou la forme de violences religieuses, puisque, depuis quelques années, les musulmans et les chrétiens – les pentecôtistes et évangéliques d'origine américaine ou sud-coréenne, très implantés dans l'île – ont été la cible d'attaques de bouddhistes militants. »
Reconstruire après le typhon aux Philippines
Aux Philippines, qui comptent 85 % de catholiques, le contexte n'est pas aussi explosif. Cinq jours de vacances ont été décrétés à Manille, où 6 millions de personnes sont attendues pour la messe publique de François tandis que des affiches et des barrières de sécurité fleurissent dans la ville. Néanmoins, la corruption des milieux politiques est une préoccupation majeure pour le pays et pour l'Église, et là aussi, des tensions ont surgi entre l'épiscopat et le gouvernement quand celui-ci a fait expulser 250 familles victimes du typhon Yolanda de leur hébergement d'urgence, sous prétexte de mieux préparer la visite papale. « Il n'y a aucune raison de parler du pape quand il s'agit de justifier le retard pris dans la réinstallation des milliers de déplacés par le typhon Yolanda ! » a déclaré Amadeo Alvero, porte-parole de l'archidiocèse de Palo, très éprouvé par la catastrophe, comme le rapporte Eda.
Cet événement est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. En effet, alors que l'Église locale a déjà déboursé 9 millions de dollars et fait construire 1 600 logements pour aider les sinistrés, les promesses de relogement émises par le gouvernement tardent à être honorées. Une lenteur du plus mauvais effet, qui intervient six mois après un énorme scandale : l'arrestation de trois sénateurs pour détournement de millions de dollars de fonds publics vers des ONG fantômes.
Dans ce pays où 2015 a été déclarée Année des pauvres, de la compassion et de la lutte contre la corruption, le pape rencontrera aussi des familles durement éprouvées par la pauvreté. En effet, la précarité et le chômage entraînent un exode massif de la population, et il n'est pas rare que des mères (surtout) laissent mari et enfants pour trouver du travail à l'étranger, et permettre aux leurs de survivre et de faire des études. Lors du synode sur la famille, le cardinal Luis Antonio Tagle, archevêque de Manille, avait évoqué ces déchirures avec une immense émotion. Le thème devrait donc également être au cœur des discussions.
À la rencontre de l'Asie
Le pape décollera de Rome le 12 janvier en fin de journée et atterrira à Colombo, au Sri Lanka, le 13, à 9 h (heure locale), où il restera jusqu'au 15. Sur place, il participera à une rencontre interreligieuse avant de procéder le lendemain à la canonisation du bienheureux Joseph Vaz, missionnaire indien considéré comme l'« apôtre du Sri Lanka », envoyé clandestinement sur l'île, alors connue sous le nom de Ceylan, pour soutenir les catholiques persécutés par le pouvoir colonial hollandais.
Du 16 au 19, aux Philippines, il rencontrera des familles à Manille et déjeunera avec des survivants du typhon Yolanda, aux Philippines.
Par Marie-Lucile Kubacki, à Manille sur www.lavie.fr le 12/01/2015
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