L’été dernier, deux rendez-vous manqués sont passés inaperçus. Celui du 11e sommet du dialogue Europe-Asie (Asem) à Oulan-Bator, en Mongolie, honoré cependant par la participation de la chancelière allemande, Angela Merkel. Puis, début septembre, à Vientiane, au Laos, le 29e sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) en présence de Barack Obama et en l’absence de François Hollande, pourtant au même moment en visite officielle au Vietnam voisin. Coup sur coup, la France donne l’impression d’ignorer l’Asie.
Il n’en a pas toujours été ainsi. La France possède une histoire asiatique séculaire. Dès le XVIIe siècle, ses souverains, fascinés par l’opulence des Moghols et des Qing, dépêchent des jésuites à la cour de Pékin et des marchands de la Compagnie des Indes orientales à Pondichéry et Chandernagor. Profitant de l’affaiblissement des empires autochtones, la France fonde au XIXe siècle des concessions en Chine avant de coloniser la péninsule indochinoise, la «Perle» de son Empire. Parallèlement, Paris devient la capitale de l’orientalisme avec l’Ecole des langues orientales (1795), la Société asiatique (1822) le musée Guimet (1889) tandis que l’Ecole française d’Extrême-Orient est inaugurée en 1900 à Hanoi.
Au début du XXe siècle, de plus en plus d’intellectuels, d’écrivains et de journalistes parcourent l’Asie, considérée par certains comme un repoussoir tandis que d’autres y voient une fontaine de jouvence pour l’Europe. Les Asiatiques se font plus nombreux en France qui accueille 130 000 Chinois débarqués pour creuser des tranchées et travailler dans les usines pendant la Grande Guerre, et plus de 4 000 jeunes - dont Zhou Enlai et Deng Xiaoping - dans le cadre du mouvement «études travail» entre 1919 et 1924. A l’initiative des différentes élites asiatiques, le gouvernement français mène alors une ambitieuse politique de coopération scientifique concrétisée notamment par la création de la Délégation archéologique française en Afghanistan (1922), de la Maison franco-japonaise (1924) ou encore de l’Institut français de Pondichéry (1955).
Cette histoire partagée a été tissée de nombreux échanges pacifiques mais aussi profondément troublée par les violences coloniales et les divers clichés racistes ou exotiques «qui consistent à toujours acclimater notre inconnaissance de l’Asie grâce à des langages connus (l’Orient de Voltaire, de la Revue asiatique, de Loti…)», comme l’écrit si bien Roland Barthes. Mais un demi-siècle après les décolonisations, le rapport de force s’est inversé, les grandes puissances asiatiques referment la parenthèse historique de la domination occidentale, ouverte au XVIIIe siècle, et la France n’a pas pris la mesure de ce retournement.
Sur le plan diplomatique, quelques signaux audacieux avaient pourtant été émis par De Gaulle avec l’établissement des relations diplomatiques avec la Chine (1964) et son discours de Phnom Penh (1966), Mitterrand avec les accords de Paris sur le Cambodge (1991) et la première visite d’un président français au Vietnam (1993) depuis 1945, et Chirac avec le lancement du dialogue Asie-Europe (1996). François Hollande a, lui, tenté de diversifier les partenaires en se rendant au Laos (2012), au Japon (2013), en Corée du Sud (2015), aux Philippines (2015), en Inde (2016), et au Vietnam (2016). En juin, la France a en outre adhéré à la Banque asiatique d’investissement. Mais en dépit des ambitions affichées, les résultats de cette «politique asiatique» s’avèrent bien maigres en raison de la faiblesse des moyens attribués et de la priorité accordée à l’Afrique. Dans le domaine culturel et éducatif, l’Asie est sommairement traitée. Les médias la relèguent à la dernière place dans les informations internationales alors qu’au début du XXe siècle, les événements asiatiques faisaient régulièrement la une du Petit Journal. Elle est réduite à la portion congrue dans les programmes scolaires d’histoire, de géographie, de philosophie, de littérature, de sciences économiques et sociales, d’arts plastiques et d’éducation musicale. Mais à quoi bon connaître la civilisation angkorienne, le Mahabharata, l’ukiyo-e ou le confucianisme ? Après tout, l’Asie ne concentre que 60 % de la population mondiale… De plus, l’enseignement des langues chinoise et nippone, en dépit de la création récente du Capes de japonais, ne répond pas à la demande croissante des élèves. La France se distingue par le nombre très faible de «chaires» consacrées aux études asiatiques dans son enseignement supérieur. Et nos universités n’accueillent que 3 % des étudiants internationaux asiatiques alors que la Chine, l’Inde et la Corée du Sud sont les trois premiers «exportateurs» mondiaux d’étudiants.
Enfin, les Asiatiques de France peuvent avoir le sentiment d’être maltraités comme en a témoigné à la fin de l’été l’inédite mobilisation contre la multiplication des agressions de Chinois et le «racisme anti-asiatique», à Aubervilliers. Outre les étrangers présents sur son sol, la France compte plus d’un million de citoyens d’ascendance asiatique, encore presque invisibles dans les médias, au cinéma et sous-représentés dans les conseils municipaux. Toutefois, il n’existe pas de communauté asiatique : quoi de commun entre Zhang Chaolin, le couturier chinois tué début août, Fleur Pellerin, l’ex-ministre née en Corée, le Pakistanais Ali Akbar, facétieux vendeur de journaux à la criée, et le mathématicien médaillé Fields d’origine vietnamienne Ngô Bao Châu ? D’une infinie diversité, l’Asie n’existe finalement qu’au travers de nos représentations, en l’occurrence de notre ignorance. A l’heure, où les étudiants et jeunes actifs français séjournent de plus en plus dans les nouvelles Rome que sont Shanghai, Séoul ou Singapour, il est temps de prendre connaissance de cette histoire asiatique de la France.
Par Pierre Singaravelou le 06/10/2016 sur www.liberation.fr
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