Vous êtes sûrs que vous allez survivre ? Telle est la question que posent en substance les nombreux émissaires venus d'Asie en Europe pour tenter de comprendre l'étrange langueur dont souffre leur bon client qu'est le Vieux Continent. On a eu l'occasion, ces derniers mois, d'être interrogé par plusieurs délégations, des Chinois, des Japonais. Lors du dernier entretien, un expert du Parti communiste chinois a retenu jusqu'au bout la question qui lui brûlait le bout de la langue. Mais juste avant de conclure l'échange, il s'est finalement jeté à l'eau : « Nous estimons que votre crise est très grave. Mais finalement, chez vous, peu de gens semblent en avoir conscience... » On lui répondit qu'il avait évidemment raison, avant de lui serrer la main. Non sans regret, car on lui aurait bien retourné la question.
La comparaison peut sembler grotesque. Un Européen s'inquiétant de la Chine ressemble à un grand cardiaque venant de subir un triple pontage se souciant de la santé de son visiteur affligé d'un petit bobo au pied. L'activité devrait progresser de près de 8 % cette année dans l'empire du Milieu alors qu'elle aura reculé dans la zone euro. En cinq ans, elle a bondi de plus de moitié là-bas alors qu'elle a stagné ici. Les entreprises chinoises créent plus d'un million d'emplois par mois, ce qui correspondrait à 50.000 emplois en France -un chiffre jamais observé dans son histoire.
Et pourtant, l'activité ralentit fortement en Chine, davantage que ne l'indiquent ses chiffres de PIB. La production d'électricité ne progresse pratiquement plus. Le fret ferroviaire de marchandises recule. Jamais la Chine n'a connu croissance aussi faible depuis qu'elle s'est éveillée au début des années 1980. Il y a deux ans, deux économistes de la Banque asiatique de développement, Jong Wha Lee et Kiseok Hong, avaient osé estimer que la croissance chinoise pourrait revenir à « seulement » 7 % l'an dans la décennie 2010. Aujourd'hui, des estimations sensiblement inférieures circulent. Les signes se multiplient d'une rupture majeure, qui pourrait secouer le monde entier. La crispation actuelle sur quelques îlots perdus à l'est du pays n'en est qu'un premier avertissement.
Depuis trente ans, Pékin avait réussi à trouver la voie d'une croissance phénoménale en agissant sur deux leviers : l'exportation et l'investissement. Dans son plan quinquennal arrêté l'an dernier, le gouvernement avait décidé de prendre le virage d'une croissance à l'américaine, tirée par la consommation. Un virage majeur, qui supposait un ralentissement pour éviter d'aller dans le décor. Mais deux gros problèmes compliquent singulièrement l'exécution du plan, comme l'explique l'économiste de Natixis Patrick Artus. Le premier est extérieur : la crise des pays développés, de l'Europe en particulier, pèse lourd sur les ventes à l'étranger. Les exportations, qui progressaient de 20 % l'an en 2010, sont désormais pratiquement à l'arrêt. Le deuxième problème est interne : les salaires sont allés trop vite. Leur augmentation était bien sûr nécessaire pour stimuler les achats des ménages. Mais ils se sont emballés. Les entreprises ont donc perdu en compétitivité, sans produire pour l'instant les produits sophistiqués qui leur permettraient d'imposer leurs prix. Et les consommateurs ne se sont pas rués pour autant dans les magasins, car ils s'inquiètent pour leurs vieux jours. En dix ans, les Chinois ont multiplié leur stock d'épargne... par six.
La Chine pourrait donc tomber dans le « piège des pays à revenu moyen », comme le dit l'économiste Wing Thye Woo, qui enseigne à l'université Fudan de Shanghai et à l'université de Californie. Elle suivrait alors la Malaisie, où le revenu moyen par tête ne monte plus par rapport au revenu américain depuis près de vingt ans, et non la Corée du Sud, où le revenu moyen est passé de 45 à plus de 60 % du revenu aux Etats-Unis. Pour éviter de tomber dans le piège malaisien, le gouvernement devra encourager l'entrepreneuriat et l'innovation. Pour trouver la voie d'une croissance équilibrée, il devra aussi accélérer la construction d'une protection sociale et assainir en profondeur un système financier perclus de dettes pourries. Autrement dit, il devra être révolutionnaire. Ca risque d'être compliqué : la nouvelle génération de dirigeants qui va prendre le pouvoir le mois prochain semble surtout composée de bureaucrates.
Par Jean-Marc Vittori sur www.lesechos.fr le 02/10/2012
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